RUBÉNISTES & POUSSINISTES QUERELLE ENTRE
La fameuse querelle littéraire des Anciens et des Modernes qui se termina à la fin du xviie siècle par la « victoire » des Modernes — et qui préfigure d'autres batailles littéraires (bataille d'Hernani, 1830) ou artistiques opposant quelques novateurs enthousiastes aux gloires « académiques » ou « classiques » de toutes les réussites antérieures, sclérosées par les succès et les honneurs — devait trouver son répondant pendant le même xviie siècle dans un domaine privilégié des arts, la peinture. Autre querelle — et non moins significative — que l'on a ramenée, un peu trop schématiquement sans doute, à l'opposition entre les tenants du dessin et ceux de la couleur : ces derniers prenant Rubens comme modèle exemplaire et Poussin comme cible, la querelle fut ainsi arbitrairement baptisée.
Roger de Piles, théoricien de l'art opposé à André Félibien, entame la polémique dès 1668, mais c'est surtout son Dialogue sur le coloris (1673) qui déchaîne les passions. Contre les « poussinistes », Félibien notamment, il affirme non pas la prééminence, mais l'importance considérable de la couleur dans le tableau, au même titre que la composition ou le dessin. Critiquant Poussin, qu'il juge mauvais coloriste, il s'en prend également au choix de ses sujets, à sa froideur, à sa composition statique, bref à ses « vertus classiques ». Il lui oppose non seulement Rubens, mais aussi les grands Vénitiens (Giorgione, Véronèse, Titien) ou, ce qui est plus significatif encore, Rembrandt, dont il discerne les qualités de coloriste et la maîtrise des valeurs. La victoire des coloristes semble acquise (officiellement) en 1699, lorsque R. de Piles est reçu à titre honorifique membre de l'Académie, mais leur véritable consécration date plutôt de 1717, quand le morceau de réception d'Antoine Watteau est reçu à l'Académie : Pèlerinage à Cythère, prologue à la peinture du xviiie siècle. La couleur, éclatante et dorée, désormais triomphe, mais aussi une touche large et une pâte grasse et fluide, une composition plus libre, un peu « délurée » chez Fragonard. Tous ces artistes vont assurer la continuité d'une peinture très coloriste, presque ininterrompue de Véronèse aux impressionnistes, en passant par Rubens, Watteau et Delacroix. L'issue de la querelle des rubénistes et des poussinistes semble remettre fortement en question la permanence supposée d'une tradition classique et figée de la peinture française, sauf pour de brèves périodes.
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Écrit par
- Guy BELOUET : auteur
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