JUIVE QUESTION
Expression apparue à l'époque des Lumières, en Allemagne, lorsque se posa, à la fois sur le plan idéologique et sur le plan politique, le problème de l'émancipation des Juifs d'Occident.
Idéologiquement, la question juive se trouve ouverte en Allemagne à travers l'activité de C. W. Dohm, auteur du manifeste Über die Bürgliche Verbesserung der Juden (1781), ainsi que par Lessing (Nathan der Weise), et en France par les démarches et écrits de l'abbé Grégoire (Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs). Sur le plan politique, Frédéric-Guillaume en Prusse, Joseph II en Russie et Louis XVI en France esquisseront une approche, encore bien insuffisante, des problèmes posés par la condition juive de l'époque. Mais le facteur décisif en la matière est constitué par les bouleversements nés de la Révolution française et des guerres napoléoniennes, qui provoquent l'émancipation légale des Juifs français, émancipation qui sera définitive en dépit du « décret infâme » de Napoléon lui-même en 1807. Néanmoins, la réaction qui suit la défaite napoléonienne remet en cause, en Allemagne, l'émancipation accordée par la Prusse en 1812 ; une longue période de luttes s'ouvre alors pour les Juifs allemands, qui ne s'achèvera qu'autour de 1870.
C'est dans le contexte de cette lutte que s'inscrit la parution de La Question juive de Karl Marx, ouvrage qui constitue lui-même une réponse au livre de Bruno Bauer, Die Judenfrage, publié en 1843. Dans ce pamphlet, Marx définit les Juifs par la religion juive et identifie cette totalité religieuse du judaïsme avec le culte pratique de l'argent et l'activité quotidienne du troc : « Le monothéisme du juif est donc en réalité le polythéisme des besoins multiples. » Il ajoute : « L'argent est le dieu jaloux d'Israël devant qui nul autre Dieu ne doit subsister. » Il soutient encore, à partir de là, l'équivalence entre judaïsme et bourgeoisie, d'où découle logiquement le devoir de supprimer le premier. Cette analyse passionnelle, antisémite — et peu marxiste d'esprit — devait peser lourdement sur la théorie et la pratique des mouvements révolutionnaires lorsqu'ils se trouvèrent confrontés à la question juive.
La question juive ne cesse de se poser au long du xixe siècle en Europe centrale et en Europe orientale, tout spécialement en raison des transformations fondamentales qui marquent le judaïsme européen au cours de cette période. La population juive européenne passe de deux millions à huit millions sept cent mille personnes entre 1800 et 1900, grâce à l'abaissement du taux de mortalité, qui se trouve conjugué, au moins pendant la première partie du siècle, avec un taux de naissances élevé. Ce développement démographique entraîne sur le plan économique la dislocation de la communauté juive traditionnelle, l'exode des Juifs des régions rurales vers les régions industrielles et leur concentration dans le tissu urbain, plus particulièrement des grandes villes.
Sur le plan politique, leur condition reste précaire en Russie et en Europe centrale, où ils participent pourtant activement à l'industrialisation de ces contrées. Mais leur participation progressive à la vie des nations européennes provoque en retour, presque partout, une réaction antisémite. Celle-ci attribue imaginairement aux Juifs une importance considérable sur le plan financier et économique en dépit du fait qu'à l'exception d'une frange numériquement peu nombreuse de la haute bourgeoisie (symbolisée par le nom de Rothschild) la plupart de ceux-ci appartiennent à la classe moyenne, position qui les soumet aux fluctuations et aux destinées de cette classe.
À la fin du xixe siècle, à la suite de l'affaire Dreyfus en France, de la création d'un parti antisémite[...]
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Écrit par
- Roland GOETSCHEL : professeur des Universités, directeur du département d'études hébraïques et juives de l'université de Strasbourg-II, professeur associé à l'Université libre de Bruxelles
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