QUESTIONS DE MÉTHODE EN HISTOIRE DE L'ART, Otto Pächt Fiche de lecture
Otto Pächt (1902-1988) est un des derniers grands représentants du courant formaliste en histoire de l'art. Élève de Max Dvorák et d'Emmanuel Löwy, Pächt fut cependant davantage marqué par le formalisme de la première génération d'historiens de l'école de Vienne, avant tout celui d'Aloïs Riegl dont il réédita en 1926 l'ouvrage fondateur : Die Spätrömische Kunstindustrie (1901 ; L'Artisanat du Bas-Empire romain). Pour l'essentiel, sa contribution à l'histoire de l'art apparaît comme une extension du projet méthodologique de Riegl. Chez Pächt comme chez Hans Sedlmayr, qui recueillit lui aussi la pensée de Riegl, la notion de « structure » était alors capitale. Elle désignait en quelque sorte le « diagramme » de la perception du monde par un artiste, le dessein structurel qui commandait l'agencement formel d'une œuvre dans sa totalité, subordonnant les moindres détails à cette organisation que l'historien devait retrouver. Dans son essai La Mission historique de Michael Pacher (1931), Pächt avait éprouvé la fécondité de cette analyse, qui imposait à l'historien un véritable acte de re-création esthétique, jusque dans son écriture. Mais l'essentiel de l'effort théorique de Pächt se trouve dans de longs essais publiés au même moment, dans le cadre de la revue Kritische Berichte – les notes critiques –, qui constitue alors un véritable laboratoire pour la Strukturanalyse viennoise, où l'on retrouve les noms de Guido Kaschnitz von Weinberg, de Fritz Novotny, et, bien au-delà de ce cercle formaliste, d'Ernst H. Gombrich et de Meyer Schapiro. Chassé par les nazis en 1934 de son poste à l'université de Heidelberg, Pächt émigra en Grande-Bretagne, s'associant un temps au Warburg Institute, avant de s'installer à Oxford où on lui proposera bientôt une chaire. En 1963 débute une autre période de la vie de Pächt, qui retourne à Vienne, où il poursuivra notamment ses recherches dans les deux domaines sur lesquels il régnait déjà : l'enluminure médiévale et la peinture septentrionale du xve siècle.
L'analyse des œuvres d'art comme « conversion du regard »
Par « questions de méthode », il faut entendre, en revenant au titre de l'édition allemande : « réflexions méthodologiques sur la pratique de l'histoire de l'art ». Des réflexions exprimées à l'origine dans un cours prononcé en 1970-1971 à l'université de Vienne, rassemblées par trois de ses élèves, et qui se présentent au lecteur sous la forme de vingt-cinq petits fragments méthodologiques. Pächt fait alterner, par touches successives, des commentaires critiques sur les principaux paradigmes guidant le travail des historiens et des discussions sur les œuvres elles-mêmes. Contre la méthode formelle génétique de Wölfflin, qui confondait déduction et explication stylistique, Pächt exige de l'historien qu'il considère sans détour les œuvres dans leur individualité, c'est-à-dire dans leur principe d'organisation formelle.
Essentielle est alors, comme Pächt le montre bien à propos de deux enluminures de la Bible romane d'Admont, la prise en considération de la distance historique, qui impose au chercheur de rompre avec ses propres habitudes visuelles, d'accomplir une véritable « conversion du regard » pour retrouver le cadre de perception à l'intérieur duquel l'artiste a opéré. Tout aussi essentiel est le critère de « cohésion », inspiré par Riegl, et qui assigne aux détails une place dans un schéma global unitaire. Et selon Pächt, qui donne en exemple le groupe en bronze Judith et Holopherne de Donatello, les choix formels peuvent être en grande partie déduits de l'« occasion formelle » qui est à l'origine d'une œuvre. En d'autres termes, c'est parce que la sculpture[...]
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Écrit par
- François-René MARTIN : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre
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