QUESTIONS DE STYLE. FONDEMENTS D'UNE HISTOIRE DE L'ORNEMENTATION (A. Riegl) Fiche de lecture
Parmi les historiens de l'art appartenant au courant « formaliste », Aloïs Riegl (1858-1905) est aujourd'hui le plus lu et le plus commenté. Si, jusque dans les années 1970, les idées de Wölfflin et de Panofsky apparurent comme les deux propositions théoriques les plus abouties, chacune dans sa propre sphère d'intelligibilité, la forme pour Wölfflin et la signification pour Panofsky, ce sont les figures antithétiques de Warburg et de Riegl qui passionnent aujourd'hui le public cultivé.
La carrière de Riegl débute au musée des Arts appliqués de Vienne, dont il est un des conservateurs. Il s'intéresse alors aux textiles, plus particulièrement aux tapis d'Orient. C'est au contact d'œuvres supposées « mineures » ou appartenant à des périodes traditionnellement délaissées par l'histoire de l'art que le système d'analyse de Riegl se met en place. En analysant un célèbre manuscrit du Bas-Empire romain, la Genèse de Vienne (Nationalbibliothek de Vienne), un autre historien viennois, Franz Wickhoff, avait souligné la nécessité pour l'historien de s'affranchir de tout jugement de valeur dans l'analyse des œuvres d'art appartenant à des époques déconsidérées, perçues comme « décadentes ». Wickhoff prit également la défense de Gustav Klimt, à la suite du scandale qu'avaient provoqué, en 1907, ses tableaux allégoriques destinés à la salle des fêtes de l'université de Vienne. On retrouve chez Riegl le même souci d'éviter tout jugement de valeur, en réinscrivant l'art des périodes déconsidérées dans une chaîne évolutive, à l'intérieur de laquelle les formes ne font que répondre à ce que l'historien devait appeler la « volonté d'art » (Kunstwollen) propre à chaque époque.
Ornement et style
Questions de style traite de l'évolution des motifs végétaux dans l'art ornemental de l'Antiquité. Fleurs de lotus, palmettes, rinceaux, feuilles d'acanthe : les virtualités formelles dont ces motifs sont porteurs en faisaient un objet idéal pour mettre à nu des lois autonomes de transformation des formes. C'est essentiellement contre l'« évolutionnisme matérialiste » de l'architecte et historien d'art Gottfried Semper ou du sculpteur Adolf Hildebrand, selon qui trois facteurs, le matériau, la technique et la fonction de l'œuvre, déterminaient le style, que Riegl développe sa propre théorie de l'évolution des formes. Traitant tout d'abord du « style géométrique » des peuples préhistoriques, Riegl récuse l'idée selon laquelle il en trouverait l'unique source dans l'art textile. Dessins gravés et inscriptions sur des ossements d'animaux attestent que l'ornementation géométrique se développa autant dans les « arts plastiques » que dans ce que Riegl nomme, après Semper, les tressages des « arts de surface ». Suit une courte mise au point sur « L'art héraldique », qui précède un très long chapitre sur « Les débuts de l'ornementation végétale et le développement du rinceau ornemental », qui constitue le cœur de l'argumentation de Riegl. Partant de l'invention du motif du lotus dans l'art égyptien, faisant un détour par les spirales dans l'art des Maoris, Riegl montre que le développement du motif de la palmette en Mésopotamie, en Phénicie et en Perse, constitue déjà une évolution vers la « pure ornementalité ». Le rinceau végétal au mouvement rythmé, invention de l'art grec, est un motif dont Riegl était convaincu qu'il répondait, de l'art mycénien au style du Dipylon, de Milo à Rhodes, à la recherche d'une « totale liberté » ornementale. L'analyse que fait Riegl de l'apparition du motif de l'acanthe, composante essentielle du chapiteau corinthien, est célèbre. Sur la tombe d'une jeune fille de Corinthe aurait été déposée une corbeille autour de laquelle allait s'enrouler une acanthe. Vitruve, qui prenait au sérieux[...]
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Écrit par
- François-René MARTIN : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre
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