QUI A PEUR DES FEMMES PHOTOGRAPHES ? (exposition)
Au musée de l’Orangerie et au musée d’Orsay, une exposition en deux volets, Qui a peur des femmes photographes ? 1839-1945 (14 octobre 2015-24 janvier 2016), vient combler le déficit de visibilité dont souffrent les femmes photographes. Longtemps, en effet, leur rôle fut négligé par l’histoire du médium comme par les institutions muséales.
De l’album de famille au tableau vivant
L’exposition Qui a peur des femmes photographes ? 1839-1945 qui se déploie sur deux sites, au musée de l’Orangerie pour la période allant de 1839 à 1919, et au musée d’Orsay de 1918 à 1945, se propose ainsi de (re)considérer leur place dans l’histoire de la photographie en présentant la production féminine de cette période en Europe et aux États-Unis.
Orchestrée par Thomas Galifot, conservateur au musée d’Orsay, la première partie met en évidence le retard des Françaises par rapport aux Anglo-saxonnes. En Grande-Bretagne où, dès sa création, la Photographic Society of London (1853) invite les femmes à rejoindre ses rangs, et où la reine Victoria, qui se montre très intéressée par le nouveau médium, incite les dames de la bonne société à pratiquer ce hobby. Nombreuses sont celles qui entreprennent de photographier leurs enfants et des scènes quotidiennes pour constituer leurs albums de famille. Dès 1843, sur les conseils de son ami Henry Fox Talbot (1800-1877), inventeur anglais du calotype, Anna Atkins utilise de son côté le « dessin photogénique », un procédé papier par contact, qui lui permet de conserver les empreintes des plantes qu’elle étudie. L’histoire de la photographie qui persiste à considérer The Pencil Of Nature de Fox Talbot comme le premier livre de photographies, occulte la sortie, quelques semaines auparavant, du premier des onze fascicules (1843-1853) de la botaniste, Photographs of British Algae: CyanotypeImpressions. Quant à Constance Talbot, qui assistait son mari dans ses recherches, elle est sans doute la première femme à avoir été impliquée dans un processus photographique.
Certaines photographes deviendront célèbres, à commencer par Julia Margaret Cameron (1815-1879), à l’origine de nombreuses compositions d’imagination, d’allégories poétiques ou religieuses, de mises en scène d’enfants, et du magnifique portrait de sa parente, Mrs Herbert Duckworth, mère de Virginia Woolf, en 1867. Cameron saura aussi assurer sa notoriété en photographiant des hommes célèbres de son temps qui étaient aussi des proches. Parmi eux, J. F. W. Herschel, Charles Darwin, Henry Taylor.
En 1901, l’exposition des artistes américaines au siège du Photo Club de Paris, ou encore les œuvres engagées et modernes exposées par Frances Benjamin Johnston durant l’Exposition universelle de Paris, viennent montrer aux Français qu’aux États-Unis la maturité photographique et l’émancipation de la « New Woman » ont quelques années d’avance. L’Américaine Gertrude Käsebier (1852-1934), cofondatrice de la Photo Secession, voulut ainsi élever la photographie de famille au rang d’art par ses vibrantes scènes intimistes aux accents pictorialistes, ou par des métaphores telle que son amère allégorie du mariage, qui met en scène deux enfants devant deux bœufs entravés par un joug.
En France, où la Société héliographique (1851) et la Société française de photographie (1854) restent longtemps réservées aux hommes, la pratique féminine en amateur ne connaît pas le même essor qu’outre-Manche. Si elles s’inscrivent plutôt dans des pratiques professionnelles, les Françaises ne connaissent pas non plus la notoriété de leurs consœurs d’outre-Atlantique. Elles réalisent essentiellement des reproductions d’œuvres d’art, des portraits d’enfants ou de femmes, qui sont autant d’activités garantissant leur confinement à la sphère intime et préservant leur respectabilité. L’artiste peintre Amélie Guillot-Saguez, qui ouvre en son nom un atelier[...]
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Écrit par
- Armelle CANITROT : journaliste et critique photo
Classification
Média