QUIÉTISME
Mme Guyon et Fénelon
L'expérience de Mme Guyon (1648-1717) est profondément marquée par la tradition mystique : par l'intermédiaire des milieux de Verceil et de Turin, et en vertu de l'influence qu'exerça sur elle la lecture assidue des mystiques, son œuvre se situe dans la ligne de multiples courants ; le Moyen court et très facile de faire l'oraison (1685) et ses abondants écrits rédigés dans la spontanéité de l'inspiration en portent la marque. Les voyages pendant lesquels elle se livra, accompagnée du père La Combe, à un actif apostolat mystique, attirèrent l'attention sur elle de façon inquiétante : l'archevêque de Paris la fit emprisonner en 1687, mais les amis qu'elle s'était faits obtinrent sa liberté ; un petit cercle à la Cour était attentif à ses leçons, et parmi ces disciples se trouvait Fénelon. Ce dernier, dont la sécheresse intérieure était grande, constata avec admiration l'expérience de l'union à Dieu en cette femme, et était prêt à lui demander conseil ; ce fut le début d'une longue et riche correspondance.
Mais l'influence de Mme Guyon et de Fénelon dans la maison royale de Saint-Cyr suscita la méfiance de Mme de Maintenon ; pour défendre Mme Guyon, il fut fait appel en 1693 à l'arbitrage de Bossuet ; l'évêque de Meaux était assez favorable à Fénelon, mais sa formation intellectuelle et théologique, sa sensibilité aussi le rendaient peu capable de comprendre vraiment la mystique ; cela explique les graves équivoques qui caractérisent sa lecture des textes de Mme Guyon et ses jugements sur les mystiques. Pour éclaircir les choses, Mme de Maintenon accepta l'idée d'entretiens entre Bossuet, Noailles, évêque de Châlons, Tronson et Fénelon : les articles rédigés à Issy à la fin de ces conférences (1694) ne donnèrent cependant pas de la mystique une définition acceptable par tous sans réticences ; aussi, peu après, Bossuet et Fénelon, chacun de son côté, se jugèrent dans la nécessité d'élaborer une interprétation : l'Explication des maximes des saints (1697) de Fénelon analyse méthodiquement les états d'amour de Dieu distingués selon leur degré de désintéressement jusqu'au « pur amour » ; l'Instruction sur les états d'oraison de Bossuet, publiée peu après, est moins un traité qu'une réfutation des mystiques où l'on retrouve les arguments de l'antimysticisme repensés par Bossuet dans le sens d'un net intellectualisme.
Fénelon en appela à Rome ; d'où le double théâtre de la querelle ; à Paris, Bossuet et Fénelon publièrent de nombreux ouvrages théologiques et la polémique devint très personnelle avec la violente Relation sur le quiétisme de l'évêque de Meaux ; à Rome, les intrigues du neveu de Bossuet et les pressions politiques ne furent pas étrangères à la condamnation de Fénelon : la division des examinateurs montrait en effet la complexité des problèmes théologiques et la difficulté qu'il y avait à distinguer le quiétisme et la mystique orthodoxe. Par le bref Cum alias (1699), Innocent XII condamnait, sans les qualifier d'hérétiques, vingt-trois propositions tirées des Maximes des saints : c'était la fin du quiétisme.
L'antiquiétisme devint alors l'argument de ceux qui s'opposaient à la mystique ; le courant mystique fut, au moins dans l'Église catholique, tari ou contraint de mener une vie souterraine. Dans les pays protestants, au sein des milieux piétistes ou illuministes, l'influence de Mme Guyon et de Fénelon resta importante et cette tradition quiétiste fut une des voies par lesquelles se prépara, en marge des Églises, le renouveau mystique de la fin du xviiie siècle : le méthodisme de Wesley y puisera une part de son inspiration.
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Écrit par
- Jacques LE BRUN : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
Classification
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