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QUIRINUS

Un des personnages les plus difficiles et les plus complexes du panthéon romain, et qui fut encore compliqué par les exégètes modernes.

À l'époque archaïque, il formait avec Jupiter et Mars une triade cohérente et articulée. La preuve en est fournie, d'une part, par l'existence d'un flamine majeur attaché à sa personne (le troisième dans l'ordre de préséance), d'autre part, par la formule de la « dévotion » où cette triade est énoncée dans l'ordre même où sont rangés les flamines majeurs. Son nom (dont la formation rappelle celle de dominus ou tribunus) renvoie à une racine qui devait désigner la totalité d'une collectivité humaine ; on pourrait le traduire par « le maître de la totalité des hommes ». Son flamine intervenait dans trois fêtes d'une grande importance pour la croissance, la conservation et la consommation des céréales : le 25 avril, où l'on s'efforçait de protéger les blés des attaques de la rouille ; le 21 août et le 15 décembre, où l'on honorait le dieu protecteur de l'engrangement en étroite liaison avec la déesse de la fécondité Ops ; le 17 février, clôture des fêtes consacrées à la torréfaction des grains pour les rendre consommables.

Cet ensemble de données a permis depuis longtemps à Georges Dumézil de reconnaître en Quirinus, dans le cadre de la triade primitive, le patron de la troisième des fonctions sociales, celle qui répond au besoin qu'a toute société d'assurer sa survie et sa perpétuation par la fécondité et la santé de ses femmes, de ses troupeaux et de ses terres, en un mot, par tout ce qui concourt à son salut physique et à sa prospérité. Mais, à la différence des fonctions de la souveraineté et de la guerre dont les contours se laissent aisément cerner, cette troisième fonction sociale offre des aspects bien plus complexes et diffus. Si, dans une théologie archaïque, Quirinus en fut le patron, il ne pouvait à lui seul, comme Jupiter ou Mars dans leur sphère propre, en récapituler tous les aspects ; la multiplicité des besoins auxquels devait répondre cette troisième fonction mettait en cause beaucoup d'autres divinités, certainement associées à Quirinus à l'origine, mais dont le nombre et la diversité ont contribué à estomper le rôle originel de ce dieu. Bien qu'il ait donné son nom à l'une des sept collines, le Quirinal, les Romains de l'âge classique ne comprenaient plus clairement le rôle de Quirinus.

Peut-être gardaient-ils pourtant le sentiment que le nom de ce dieu était à mettre en rapport avec celui des quirites, les citoyens dans leur acception civile. Dans la Rome républicaine, tout quirite, en sa qualité de mobilisable, était un soldat (miles) en puissance ; inversement, tout soldat restait un quirite virtuel, puisqu'il était destiné à rentrer dans la vie civile. Ainsi, les deux termes quirites et milites formaient un couple désignant les deux obligations fondamentales du statut civique. La formation de ce couple a probablement rejailli sur Quirinus : senti comme patron des quirites, il s'est trouvé articulé avec Mars, le patron des milites. Il est devenu le « Mars paisible » ou le « Mars qui préside à la paix ». Aussi bien avait-il ses armes, mais qu'on avait soin de graisser comme on fait pour les armes d'un réserviste qui a le devoir de les conserver sans pour autant s'en servir.

Cette association avec Mars explique peut-être que Quirinus soit devenu le nom du fils de Mars divinisé, Romulus. Cette assimilation n'a pourtant jamais fait perdre de vue le patronage de Quirinus sur l'état de paix. Le nouveau Romulus que voulut être Auguste aimait à entendre célébrer Quirinus-Romulus comme protecteur de cette pax romana qu'il se vantait d'imposer au monde méditerranéen.

— Jean-Paul BRISSON

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