RACE ET HISTOIRE, Claude Lévi-Strauss Fiche de lecture
Trois ans avant la parution de Tristes Tropiquesqui le rendra célèbre, l'ethnologue Claude Lévi-Strauss (1908-2009) publie, sous l'égide de l'UNESCO, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, un essai intitulé Race et histoire (1952). Il répond ainsi à la volonté de l'organisme international, créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de solliciter des chercheurs – anthropologues, biologistes, généticiens – afin de fournir une assise scientifique à la délégitimation des théories racistes qui ont contribué à produire le nazisme et les camps d'extermination.
Publié d’abord dans une brochure de l’UNESCO en 1952, ce texte ouvre LeRacisme devant la science (UNESCO-Gallimard, 1956), incluant trois autres contributions autour du concept de « race », qui révèlent certaines dissensions entre les auteurs sur la pertinence de ce concept, même si tous s'entendent sur l'objectif.
Le texte de Lévi-Strauss est dans l’ensemble bien reçu, comme s'inscrivant pleinement dans la lutte « contre les préjugés raciaux et pour la paix entre les nations ». Deux ans plus tard, cependant, Roger Caillois fera paraître dans la Nouvelle Nouvelle Revue française un article virulent, intitulé « Illusions à rebours » (1954), lui reprochant de remettre en cause la supériorité de la civilisation occidentale, auquel l’ethnologue répondra.
En 1971, Lévi-Strauss, toujours à l'invitation de l'UNESCO, qui décrète l’ouverture d’une année internationale de lutte contre le racisme, prononcera une conférence publiée sous le titre « Race et culture », beaucoup moins bien accueillie cette fois, suscitant protestations ou silence gêné.
Des « races » aux « cultures »
En dépit de ce que le titre – Race et histoire – semble annoncer, l'auteur évacue assez rapidement la question proprement raciale, pour substituer à la notion de « race », peu fondée scientifiquement et très réductrice, celle de « culture ». Il s'agit ainsi d'étudier la diversité culturelle humaine, beaucoup plus large que la diversité biologique, et qui ne la recoupe nullement. Cette diversité recouvre plusieurs dimensions, dans l’espace et dans le temps : sociétés plus ou moins proches, mais contemporaines ; sociétés anciennes et que nous ne connaissons qu'indirectement ; sociétés plus anciennes encore et purement orales, donc difficiles à appréhender puisqu'elles n'ont pas laissé de traces écrites. L'important est de comprendre que ces différences, variables en degrés, doivent être saisies comme un phénomène dynamique et non statique, indissociable des relations qu’entretiennent (ou ont entretenues) les sociétés entre elles.
Devant cette diversité, la tentation spontanée est l'ethnocentrisme, qui peut prendre plusieurs aspects. Le premier et le plus simple consiste à renvoyer l'autre à sa « barbarie », attitude paradoxale puisque typique du barbare. Mais, même animé des meilleures intentions, l'homme occidental moderne se trouve pris entre l'affirmation d'une communauté humaine, au risque de nier les différences, et l'éloge des différences, au risque de nier la communauté humaine. Cette contradiction se résout souvent en un faux évolutionnisme, qui revient à voir dans les diverses sociétés des états plus ou moins avancés d'un même développement, dont l'Occident serait en quelque sorte le guide.
Ce constat conduit l'auteur à une réflexion sur la notion de progrès. Il rappelle d’abord que, contrairement à la vision positiviste des Lumières, le progrès n'est nullement linéaire : il procède par sauts, par mutations, et n'est que rarement cumulatif. Et il n'est pas l'apanage d'une civilisation. Au reste, la caractérisation de l'histoire comme stationnaire ou cumulative,[...]
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
Classification
Média
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