RACE ET HISTOIRE, Claude Lévi-Strauss Fiche de lecture
Plaidoyer pour la diversité culturelle
Sollicité par l'UNESCO pour contribuer, en tant qu’ethnologue et anthropologue, à une réflexion sur la question des races, Claude Lévi-Strauss entreprend ici, comme il le fera dans toute son œuvre, de s'écarter des discours convenus, bien-pensants et consensuels, mais simplistes, et d’appréhender toute la complexité du sujet, jusque dans ses contradictions, voire ses aspects potentiellement dérangeants. Ainsi opère-t-il d'emblée un déplacement de la problématique, en évacuant le concept de « race », inconsistant sur le plan scientifique, et en s'attachant à celui de « culture ». Néanmoins, ce faisant, il oriente sa pensée dans un sens qui n'était pas nécessairement celui attendu. Le rejet du différentialisme racial ne le conduit nullement à (ré)affirmer ici une unité de la vie de l'humanité (« sous le régime d'une uniforme monotonie ») – même s'il peut affirmer ailleurs que « les différences superficielles entre les hommes recouvrent une profonde unité » (Anthropologie structurale,1958) – mais, à l'inverse, à mettre l'accent sur les « modes extraordinairement diversifiés de sociétés et de civilisations ».
La diversité culturelle, tel est donc le sujet de Race et histoire. De ce point de vue, il existe bien un ethnocentrisme consistant à voir dans la civilisation occidentale l'état le plus avancé d'un processus universel de progrès et à tenir les sociétés primitives ou archaïques pour arriérées, c'est-à-dire en retard sur cette échelle chronologique commune. La possibilité reconnue à chaque individu et à chaque peuple, au nom de l'universalisme humaniste, d'être éduqué, « éclairé » – c'est le principe fondamental de la philosophie des Lumières tel que développé, par exemple, par Condorcet dans son Esquissed'un tableau historique des progrès de l'esprit humain (1795), et, au siècle suivant, par le positivisme d'Auguste Comte – débouche ainsi, selon Lévi-Strauss, sur une forme de racisme qui ne dit pas son nom.
Force est pourtant bien de constater l'« avance » et la domination de la civilisation occidentale. Devant cette évidence apparente, il va s'agir pour Lévi-Strauss d'interroger – et de relativiser – la notion de progrès, dans une démonstration en deux temps. D'abord, en rappelant, en bon ethnologue, que ce que nous mettons sous le mot « progrès » varie en fonction du regard de l'observateur, de sa proximité ou de son éloignement temporel, et de l'importance qu'il accorde à tel ou tel domaine. Ensuite, en définissant le progrès comme un processus dynamique complexe, faisant intervenir une multitude de facteurs.
Parmi ceux-ci, le réseau de relations qui se tissent, à des degrés et sous des modes différents (de la collaboration à la confrontation), entre les sociétés, retient particulièrement l’attention. Or la multiplication de ces relations tend inévitablement à une forme d'homogénéisation. Les termes de la dialectique sont donc posés : la condition du « progrès » est le maintien d'un équilibre entre le contact et l'interdépendance, d'une part, et la préservation des différences et des spécificités, d'autre part. Et si la balance menace sans cesse de pencher d'un côté ou de l'autre, on devine que Lévi-Strauss choisit plutôt le relativisme différentialiste contre l'universalisme standardisant, autrement dit la mondialisation.
À cet égard, la publication, près de vingt ans plus tard, de Race et culture ne surprendra que ceux qui avaient mal lu, ou partiellement, Race et histoire. Lévi-Strauss y renouvellera, plus explicitement et plus radicalement, son argumentation en faveur d'une certaine résistance à la perméabilité et au métissage des sociétés, au point d'en appeler,[...]
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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