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RACE

La perception des différences

La tradition hébraïque

Si la Bible fait bien descendre toute l'humanité du premier homme, Adam, elle attribue aux trois fils du patriarche Noé l'origine des Européens (Japhet), des Asiatiques (Sem) et des Africains (Cham). « Les fils de Noé qui sortirent de l'arche étaient Sem, Cham et Japhet : Cham est le père de Canaan. Ces trois-là étaient les fils de Noé et, à partir d'eux, se fit le peuplement de toute la Terre. » (Gen., x, 18-19.) Ainsi, du même mouvement, se trouvaient affirmées l'unité du genre humain et sa division. Le texte biblique poursuit : « Noé, le cultivateur, commença de planter la vigne. Ayant bu du vin, il fut enivré et se dénuda à l'intérieur de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père et avertit ses frères au-dehors. Mais Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent tous deux sur leurs épaules et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père ; leurs visages étaient tournés en arrière et ils ne virent pas la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveilla de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait son fils le plus jeune. Et il dit : « Maudit soit Canaan ! Qu'il soit pour ses frères le dernier des esclaves ! » Il dit aussi : « Béni soit Yahvé, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave ! Que Dieu mette Japhet au large, qu'il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit son esclave ! » (Gen., x, 20-27.) La Bible instaure non seulement la différence, mais encore la hiérarchie entre les trois ancêtres qui peuplèrent les continents, et la malédiction qui pèse sur les fils de Canaan les désigne à la fois comme esclaves de tous les autres, et comme victimes de toutes les violences. Le Moyen Âge reconnaissait en Cham l'ancêtre des serfs, en Sem celui des clercs, en Japhet celui des seigneurs. Il s'agit toujours de confondre la différence des apparences avec la délimitation des statuts et de la hiérarchie. Pour sa part, la tradition hébraïque, fondée sur la loi de Moïse, tout en ne faisant pas de référence explicite à la race, affirmait que « la barrière qui devait séparer le peuple élu des nations était destinée à perpétuer sa fonction de peuple prêtre » (Léon Poliakov, Le Mythe aryen). On sait que la différence, quand elle n'est pas acceptée, sert souvent de prétexte pour étayer un jugement de valeur, pour appuyer un rapport de force, pour autoriser la violence.

Le siècle des Lumières

L' anthropologie du siècle des Lumières est particulièrement significative car elle cherche à rendre compte de l'existence, récemment découverte, des nations sauvages, pour mieux l'opposer à celle du monde européen civilisé. Ce qui intéresse les philosophes, c'est de découvrir le sens des nations européennes. Ce faisant, ils confondent les apparences « raciales » et les « productions sociologiques et psychologiques des cultures humaines » (C. Lévi-Strauss, Race et histoire) et cherchent à renvoyer les hommes sauvages parmi les ancêtres historiques de l'homme moderne. Cet ordre historique créait du même coup l'ordre des valeurs.

Dès 1749, Buffon, dans son Histoire naturelle de l'homme, marquait très nettement la séparation entre l'homme et l'animal. Cependant, il cherchait en même temps à expliquer les causes des « variations dans l'espèce humaine ». Les critères que reconnaissait Buffon sont la couleur de la peau, la forme et la taille, enfin ce qu'il nomme le naturel. Si les deux premiers critères sont d'emblée corporels et visibles, le « naturel » renvoie à l'interprétation des comportements culturels. Mais, pour expliquer les variations tout en posant l'unité du phénomène humain, il faut croire qu'à partir d'un modèle originel les hommes se sont peu à peu distingués de lui pour « dégénérer » au fur et à mesure qu'ils s'éloignaient de la zone tempérée.[...]

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  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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