RACE
Race et pouvoir
La fortune du mot « race », chaque fois que se manifestent la violence et plus précisément l'extermination, pose le difficile problème du rapport entre la violence perpétrée par un pouvoir et la définition de la victime en terme de groupe humain, généalogiquement défini, c'est-à-dire « racial ». Tout au long du devenir de l'humanité, la découverte des peuples étrangers, le commerce qui s'instaurait entre nations et les rapports de forces qui se manifestaient obligeaient à des interprétations de caractère idéologique capables de rendre compte des faits vécus.
À partir de la diversité de fait que chacun peut constater à l'œil nu entre les groupes humains, il existe deux attitudes fondamentales aisément repérables qui conduisent toutes deux, quoique par des chemins opposés, à légitimer la violence d'un groupe sur l'autre. En réalité ces deux attitudes ont en commun une même négation de la différence. Elle supposent la discrimination et, par là même, l'affirmation exclusive de soi.
Un faux évolutionnisme
La première attitude est « une tentative pour supprimer la diversité des cultures, tout en feignant de la reconnaître pleinement. Car, si l'on traite les différents états où se trouvent les sociétés humaines, tant anciennes que lointaines, comme des stades ou des étapes d''un développement unique qui, partant du même point, doit les faire converger vers le même but, on voit bien que la diversité n'est qu'apparente. L'humanité devient une et identique à elle-même ; seulement, cette unité et cette identité ne peuvent se réaliser que progressivement et la variété des cultures illustre les moments d'un processus qui dissimule une réalité plus profonde ou en retarde la manifestation » (Lévi-Strauss, op. cit.). Privilégier ce processus de nature historique c'est vouloir écrire dans les faits une histoire pour soi, une histoire pour l'Europe, une histoire pour le Blanc. La référence historique est contraignante pour les autres, exaltante pour soi puisqu'on est toujours à l'aboutissement du devenir historique comme à la pointe significative du présent. Seul est reconnu « actuel », c'est-à-dire pertinent, le présent de sa propre société, et seul est valorisé, dans le futur, son propre projet. C'est ce faux évolutionnisme qui a permis de réduire la diversité des cultures en la rendant moins inquiétante et de sauvegarder une précieuse et rassurante image de soi. Il est clair que le pouvoir trouve ici raison de nier la différence et de vouloir réduire la diversité en forçant l'autre à l'identité. C'est ne réhabiliter l'autre qu'en en faisant un autre soi-même ; et pour cela la force est dans « le » sens de l'histoire. Toutes les techniques d'« assimilation », d'intégration, de même que toutes les contraintes allant jusqu'à l'extermination physique ou culturelle sont légitimées.
La « pureté » de la race
La seconde attitude n'admet la différence des cultures que pour mieux la valoriser en termes de rapport de forces. On postule une hiérarchie des groupes humains selon des critères qui sont favorables aux « gens du soi ». La valeur ne peut être préservée que par le maintien d'une distance infranchissable entre soi et les autres. Maintenir la « pureté » de la race contre les mélanges qui la font dégénérer devient la préoccupation obsédante et la tâche essentielle du pouvoir. À partir d'une différence, on institue une discrimination qui devient la charte du pouvoir, de l'ordre et de la sécurité. Peu importe la manière dont est reconnue la supériorité congénitale d'une fraction de l'espèce humaine, elle est un dogme. Cette discrimination fondamentale a pour conséquence logique de désigner l'autre pour victime. Ce faisant, l'exercice[...]
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Écrit par
- Daniel de COPPET : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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