RACISME
Il n'est pas aisé de donner du racisme une définition qui fasse l'unanimité. C'est pour le moins étonnant à propos d'un sujet abordé tant de fois et de tant de manières. On comprend les raisons de cette difficulté lorsqu'on s'avise que la base du racisme, c'est-à-dire le concept de race pure appliqué aux hommes, est mal définie et qu'il est pratiquement impossible de lui découvrir un objet bien délimité. D'autre part, le racisme n'est pas une théorie scientifique, mais un ensemble d'opinions, peu cohérentes par surcroît. De plus, ces opinions, loin de découler de constats objectifs, extérieurs à celui qui les exprime, sont la justification d'attitudes et d'actes, eux-mêmes motivés par la peur d'autrui et le désir de l'agresser, afin de se rassurer et de s'affirmer à son détriment. Enfin, le racisme apparaît comme le cas particulier d'une conduite plus générale : l'utilisation de différences biologiques, mais qui pourraient être psychologiques ou culturelles, réelles ou imaginaires. Il y a donc une fonction du racisme. Il résulte de tout cela que le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences biologiques, réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier une agression. Le texte suivant commente et justifie cette définition.
Repères historiques
Le mot « race » est d'emploi relativement récent dans la langue française. Il date du xve siècle et vient du latin ratio, qui signifie, entre autres, « ordre chronologique » ; ce sens logique persiste dans l'acception biologique qui s'impose par la suite : la race est alors comprise comme un ensemble de traits biologiques et psychologiques qui relient ascendants et descendants dans une même lignée. Terme d'élevage, il est d'ailleurs appliqué à l'homme seulement à partir du xviie siècle.
Le racisme comme doctrine est plus récent encore. Au xvie siècle, les Espagnols opposent la « mission civilisatrice » de l'Espagne en Amérique à l'« infériorité naturelle » et même à la « perversité » des Indiens. Ils se croient autorisés à en déduire la légitimité de la conquête et de l'établissement européens. Ainsi, l'effort systématique pour justifier l'agression et la domination sur un groupe présenté comme biologiquement inférieur, par un autre groupe, jugé supérieur, date des débuts de la colonisation. On notera aussi que l'indigène n'est pas seulement tenu pour inférieur, ce qui ne serait pas de sa faute, mais qu'il est « pervers », donc moralement blâmable, méritant sanction ou, au moins, correction ; c'est ce qui légitime la « mission » du Blanc.
La traite des Noirs, dont l'acmé se situe au xviie siècle, est en évidente corrélation avec les premières argumentations du racisme biologique, dont se moque spirituellement Montesquieu. Certes, on trouve chez tel ou tel auteur ancien des affirmations racistes et même les premiers éléments d'une argumentation. Aristote, qui fut partisan d'un ordre social basé sur l'esclavage, a tenté de le légitimer par l'infériorité naturelle des Barbares, ce qui les destinait à servir d'esclaves aux Grecs. Mais il s'agit là de remarques isolées et souvent démenties par la pratique. La stigmatisation biologique, lorsqu'elle n'était pas absente, n'avait qu'un rôle très secondaire.
L' antisémitisme est certes ancien, mais là encore il s'agit essentiellement d'une affaire religieuse ou nationale. L'antisémitisme, comme doctrine raciale, naît bien plus tard, avec la libération sociale relative des Juifs, donc avec la concurrence économique.
Il faut attendre les temps modernes pour qu'apparaisse l'explication quasi systématique[...]
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Écrit par
- Albert MEMMI : professeur de sociologie à l'université de Paris-X
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Médias
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