RAFLE DU VEL D'HIV
Des policiers plus ou moins zélés
Au sein de la Préfecture de police, il y a eu un certain nombre de fuites. Prévenus, les individus ou les foyers juifs qui le peuvent partent illégalement vers la zone libre. D’autres – le plus souvent des hommes, car on imagine encore peu que les femmes et les enfants sont aussi en danger – se cachent près de leur domicile ou s’enferment chez eux. C’est ainsi que la majorité des personnes visées ont évité l’arrestation.
Longtemps méconnu, ce résultat dément le cliché des victimes passives, attendant sagement, leurs valises prêtes, que l’on vienne les chercher. Il s’explique d’abord par la vigilance des intéressés, leur capacité à se protéger et à trouver du soutien dans la population. Mais il s’explique aussi par les spécificités de l’action de la police selon les lieux considérés de la capitale.
Grâce au Mémorial de la déportation des Juifs de France de Serge Klarsfeld, qui fournit les adresses des quelque 74 000 juifs déportés de France, on peut estimer avec précision les résultats de la rafle arrondissement par arrondissement. Premier constat frappant : plus on se rapproche du centre de Paris, plus le taux d’arrestation est faible. Pour les neuf arrondissements « périphériques » (XIIe-XXe), il s’élève à 36 % en moyenne ; pour les onze arrondissements centraux, il atteint 28 %. Assurément, là où les juifs sont les plus concentrés, dans les mêmes rues, les immeubles ou appartements voisins, ils ont pu davantage échanger des informations, être alertés et s’entraider.
Mais le rôle des commissaires de police est loin d’être négligeable. Certains font pression sur leurs hommes, menacent de sanctions ceux qui n’arrêteraient pas assez de juifs, les incitent à défoncer les portes des logements où personne ne répondrait. Dans le XXe, Florentin Brune va jusqu’à faire distribuer des outils pour forcer ou casser les portes. D’autres commissaires, à l’inverse, font comprendre à leurs équipes qu’elles ont une mission pénible à accomplir, qu’elles doivent obéir mais se montrer humaines. Ainsi parlent Georges Ballyot dans le VIIIe arrondissement et Edmond Sabaut dans le Xe – où « seulement » 25 % des juifs visés sont arrêtés.
De toute évidence, les marges de manœuvre ne manquaient pas et, à bien y regarder, il n’est pas surprenant que les résultats de l’opération aient varié, parfois considérablement, d’un arrondissement à l’autre. Ainsi, dans le IIe, le taux d’arrestations ne dépasse pas 21 % tandis qu’il s’élève à 63 % dans le XIIe.
Dans le IIe, il se trouve que le commissaire, Roger Jéhanno, a averti un juif allemand de ses amis et l’a exhorté à prévenir toutes ses connaissances. Son collègue du XIIe arrondissement est l’exact opposé. Ancien militaire, adepte des méthodes brutales, Henri Boris participe en personne aux rafles, talonne ses gardiens, frappe et insulte les victimes. À la fin de l’année 1942, dans son évaluation annuelle, même Hennequin déplore son « manque de pondération ».
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Écrit par
- Laurent JOLY : directeur de recherche au CNRS
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Médias