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RAGNARÖK

Le Ragnarök ou Destin-des-Puissances (et non comme on le dit souvent, en lisant « Ragnarøkr » : Crépuscule-des-Puissances) désigne l'ensemble de représentations apocalyptiques qui correspondaient, pour les anciens Germano-Nordiques, à la fin du monde.

Quelles qu'en soient les causes (un parjure des dieux, sans doute, et la mort inexpiable de Baldr, le dieu bon), le Ragnarök accumule en une série de visions fulgurantes et inoubliables tous les thèmes qui traduisent, dans ce complexe mental, l'idée de catastrophe irrémédiable, ce que les fresques dantesques de la Völuspá (dans l'Edda poétique) sont parvenues à dépeindre avec une force inégalable. Les coqs fatidiques inaugurent avec leur chant toute une série de cataclysmes qu'ouvre le fimbulvetr, l'hiver formidable qui durera trois ans. Puis c'est le déferlement titanesque : le Soleil et la Lune sont engloutis par des loups monstrueux ; le grand frêneYggdrasill, ébranlé jusque dans ses fondements, tremble et va s'abattre ; la terre s'ouvre ; les monstres se libèrent. Le grand serpent de Miđgarđr en particulier se dénoue et provoque une inondation générale ; Naglfar, le vaisseau fait avec les ongles des morts, rompt ses amarres et apporte une armée de géants, tandis que la cohorte des génies du feu, menée par Surtr, foule pour la dernière fois Bifröst, l'arc-en-ciel :

    Le soleil s'obscurcit,     La terre sombre dans la mer,     Les luisantes étoiles     Vacillent dans le ciel,     Ragent les fumées,     Ronflent les flammes.     Une intense ardeur     Joue jusqu'au ciel.       (Völuspá, str. 57)

Puis, c'est l'ultime combat : les innombrables portes de la Valhöll (Walhalla) s'ouvrent pour livrer passage à l'immense foule des guerriers-élus, ou einherjar, qui partent pour assister les dieux dans leur vain combat contre les puissances du mal et du désordre. Ases et Vanes, d'un côté, monstres, de l'autre, s'entre-tuent dans une série de joutes effroyables, et c'est la fin : l'embrasement universel a raison de tout, le feu inextinguible reste, lugubre vainqueur. Seuls ont été épargnés les séjours des morts.

Avec toute sa puissance et sa démesure, le Ragnarök représente à l'évidence, dans l'affabulation relativement récente qu'en donnent la Völuspá (xe s. ?) ou l'Edda de Snorri Sturluson (xiiie s.), la fusion de nombreux mythes et croyances dont certains sont notoirement archaïques (conflagration générale, immersion totale de la terre, fimbulvetr, combat sans merci des bonnes et des mauvaises puissances). Il est permis d'y voir l'expression nordique d'un vieux thème iranien manichéiste : l'intolérable dualisme finit par se résoudre dans cet embrasement démentiel. Pourtant, l'implantation bien nordique du motif n'est pas difficile à prouver. Voyons-y, dans un univers mental où les notions de force, d'ordre/désordre trouvent un accent particulièrement poussé, la traduction violente d'un rêve de retour à l'idéal primitif après une fantastique catharsis. Car le Ragnarök n'est pas une fin ultime : il appelle la regénération universelle que présidera Baldr le re-né. Il serait donc la version germano-nordique, puissamment orchestrée, du vieux thème indo-européen de l'éternel retour.

— Régis BOYER

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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