RAIMU JULES MURAIRE dit (1883-1946)
Doté d'une étonnante présence physique, Jules Auguste César Muraire, comédien né à Toulon, fit ses premières armes au music-hall, comme de nombreux artistes de sa génération. Il anima avec succès les revues du concert Mayol avant de devenir une extraordinaire « bête de théâtre » dans Marius, dès la création de la pièce, en 1929. Il imposait son naturel de comédien, à une époque où le jeu était assez surchargé. Le cinéma allait très vite s'emparer de cet acteur, indéfectiblement associé à ce rôle de père, bougon et hâbleur mais désemparé malgré son imposant personnage. Donnant des lettres de noblesse à des mots conventionnels, Raimu fit de la célèbre partie de cartes un morceau de bravoure, digne de ces fameux mots de dialoguiste, tant imités depuis sans être jamais égalés. Il tourna la trilogie de Marcel PagnolMarius (1931), Fanny (1932), César (1936), en compagnie des mêmes acteurs qui formaient un microcosme provençal régi par une morale sévère... que l'on s'empressait vite de contourner.
Au début des années 1930, Raimu joue également dans des films de série, qui sont révélateurs du paysage mental de la France de l'époque : Les Gaietés de l'escadron (1932), Ces messieurs de la Santé (1934), L'École des cocottes (1935). Il y incarne avec jubilation banquiers véreux ou capitaines d'opérette... Le cinéma du samedi soir adaptait alors de nombreux vaudevilles à succès. Raimu alterne ainsi Sacha Guitry (Faisons un rêve, 1937), Flers et Cavaillet, Louis Verneuil : la plupart de ces films ne sont pas des « films de réalisateur » au sens actuel du mot, mais des films de comédiens-Protée, capables d'affronter les pires situations. Mais Raimu était soucieux des équipes avec lesquelles il tournait ; il ne songeait pas à faire un unique numéro d'acteur. De cette époque émergent deux grandes compositions : L'Étrange M. Victor, tourné en 1938 par Jean Grémillon, et La Femme du boulanger, réalisé la même année par Marcel Pagnol. Dans l'univers de Grémillon, il relègue tout manichéisme à l'arrière-plan, en incarnant un assassin respecté qui revêt les traits d'un « honnête commerçant » et dont il laisse s'exprimer toute l'ambiguïté par son jeu inquiétant et rassurant à la fois. Dans le film de Pagnol, il joue plus ouvertement et ne cherche qu'à retrouver les gestes et le comportement du boulanger, technique d'intériorisation du personnage, commune à tous les comédiens de l'époque.
Il n'a pas toujours eu l'occasion de retrouver des rôles qui lui collent autant à la peau. Les films qui suivent, Noix de coco (1939), Dernière Jeunesse (1939), Le Duel (1940), où il campe un père blanc quelque peu insolite, L'Homme qui cherche la vérité (1940), ne sont pas à la hauteur de ses capacités. Heureusement, Pagnol, dans La Fille du puisatier (1940), lui donne Fernandel pour partenaire. Le temps des Gaietés de l'escadron est révolu, et les deux acteurs nous offrent une formidable leçon d'art dramatique.
Ce ne fut pas le dernier bon rôle de Raimu : on le voit dans Les Inconnus dans la maison (1942), solide adaptation de Simenon par Henri Decoin, dans Le Bienfaiteur (1942), du même réalisateur et dans Le Colonel Chabert (1943), où une fois de plus il est très inquiétant sous son apparente bonhomie. Il retrouve Fernandel dans Les Gueux au paradis (1946), véritable « nanar ». Avant de tourner son dernier film, il jouera Le Bourgeois gentilhomme à la Comédie-Française — rôle qui lui tenait à cœur, tant il adorait faire la satire des parvenus. En 1946, il joue L'Homme au chapeau rond, d'après L'Éternel Mari de Dostoïevski : il y donne une assez terrifiante version de l'adage selon lequel « la vengeance est un plat qui se mange froid »...
Disparu en pleine gloire, Raimu aurait[...]
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Écrit par
- André-Charles COHEN : critique de cinéma, traducteur
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