HOGHE RAIMUND (1949-2021)
Vers un nouveau genre de chorégraphie
Ce n’est qu’en 1994, avec Meinwärts (« Vers moi-même »), que Raimund Hoghe signe son premier solo au titre emblématique, exprimant pour la première fois son esthétique si personnelle.Cette œuvreest une sorte de rituel funèbre inspirée de la vie du ténor juif allemand Josef Schmidt pourchassé par les nazis et mort dans un camp d'internement en Suisse en 1942, à l'âge de trente-huit ans. Josef Schmidt mesurait 1,54 mètre, comme Raimund Hoghe. La première scène marque de façon indélébile ce spectacle : on y voit Raimund Hoghe, nu, dos au public, exposant sa bosse, devant un trapèze inatteignable. Loin de toute exhibition, il met au jour, par sa seule présence, un travail sur l’altérité qui joue sur les points de connivence entre lui et les personnages dont il s’empare (ici Josef Schmidt). De ce fait, son apparition sur scène est tout autant un manifeste pour que des corps différents, non formatés, puissent danser, que le récit d’un allemand dont le corps est tout entier cicatrice de la guerre ou encore le souvenir autobiographique de l’enfant abandonné par son père qui rêvait de devenir danseur et qui reste étonné d’être là.
Cette œuvre est le premier volet d’une trilogie qui comprend également Chambre séparée (1997), pièce consacrée à l’après-guerre en Allemagne, et AnotherDream (2000), évocation de l’effervescence des années 1960. Dans cette dernière pièce, la matière première de la dramaturgie est créée par des chansons et par la répétition de la phrase « Je me souviens » pour rendre présents des fragments de l’histoire de la seconde moitié du xxe siècle. On entend des extraits de Sometimes I feel like a motherlesschildinterprétés par Mahalia Jackson, de Somewhere du film West Side Story ou de Weshallovercome chanté par Joan Baez… tandis que Le Sacre du printemps retentit dans la seconde partie de la pièce. Raimund Hoghe donne corps aux meurtres de Kennedy ou de Martin Luther King, revit son émotion face aux films américains de son enfance, ou encore restitue l’ambiguïté de l’époque.
Raimund Hoghe utilise des objets et des matières qu’il manie sur scène à la manière d’un maître de cérémonie étrange : éventails, feuilles de papier blanc, mouchoirs, bâtonnets d’encens ou photographies deviennent autant de signes d’une cosmogonie singulière à la beauté sépulcrale. La mort rôde dans l’ombre de chaque spectacle de Raimund Hoghe. Elle s’immisce dans l’obscurité propice qui baigne les pièces de cet artiste toujours vêtu de noir.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Agnès IZRINE : écrivaine, journaliste dans le domaine de la danse
Classification
Média