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RAISON D'ÉTAT

Notion ancienne de la tradition politique des Occidentaux. Le terme se trouve déjà chez Cicéron (consul en ~ 63), ratio reipublicae. D'autres expressions ou maximes, souvent empruntées au droit romain (utilité publique, raison de l'Empire, nécessité n'a pas de loi), furent les conducteurs du concept chez les juristes du Moyen Âge, dont les analyses raffinées ont préparé des théories plus modernes, inséparables du nom de Machiavel depuis le xvie siècle. En son sens actuel, hérité de l'expérience des États libéraux du xviiie au xxe siècle (système baptisé « État de droit » par la philosophie allemande), la raison d'État englobe les diverses espèces d'illégalités commises au nom des États souverains et contre lesquelles il n'existe aucune protection, sauf à contester ces pratiques par des moyens non juridiques. La liste des cas politiques ainsi soustraits aux règles de droit par ailleurs reconnues comme contraignantes ne peut être établie, chaque État s'érigeant en maître absolu pour décider d'user ou non d'une prérogative aussi dangereuse pour les libertés, cependant restreinte par les usages et la pression des opinions publiques. La raison d'État justifie les parodies de justice ; elle couvre encore, ici et là dans le monde, la pratique de la torture, théoriquement abolie partout (Déclaration universelle des droits de l'homme, proclamée par l'Organisation des Nations unies en 1948, art. 5) ; elle fonde l'argumentation des États lorsqu'ils estiment inopportun de porter tel différend particulier devant les juridictions internationales, dont ils admettent pourtant la compétence. Il subsiste donc une large zone politique, extensible selon les intérêts en cause et les circonstances, dans laquelle les États se comportent d'après le modèle absolutiste, en dépit de l'idéologie proclamant le respect du droit. Cette réalité est aujourd'hui marquée par l'apparent libéralisme des États, de sorte qu'il n'existe plus à proprement parler une théorie de la raison d'État, concept renié ou tenu pour périmé. Au contraire, les Anciens évoquaient volontiers sous ce terme la force brutale et le banditisme par lesquels se fondent tant d'établissements politiques (cf. la fameuse allusion de saint Augustin, reprise par les médiévaux : « Sans la justice, les royaumes ne sont rien d'autre que des brigandages »).

Les doctrines classiques ont évolué en deux temps. Le Moyen Âge a cherché dans l'idée de raison d'État l'outil logique permettant de faire prévaloir un ordre politique surmontant les classifications féodales. La science découvre alors ce concept, capable d'assimiler des groupes atomisés, dans des structures préfigurant les nationalismes modernes, à travers les notions d'Église, d'empire, de royaume. Chacune de ces notions définit, selon les juristes scolastiques, une personne fictive (persona ficta) à laquelle sont attribuées la volonté d'exprimer le droit et la puissance de commandement par l'intermédiaire de monarques (papes, empereurs, rois), chacun étant qualifié de loi vivante (lex animata). Cet anthropomorphisme transcrit une théorie du pouvoir, appuyée sur la philosophie aristotélicienne, la théologie et le droit romain ; il devait conduire à mettre en accord la rationalité et les exigences politiques des grandes institutions. L'État, dans cette perspective, et suivant une exégèse du terme latin status, désigne l'ensemble des prérogatives reconnues à l'Église, à l'empire, au royaume et, d'après la tradition romaine, la balance des droits penche du côté du pouvoir (« ce qui a plu à l'empereur a force de loi », « le pape sait tout dans son cœur », « le roi empereur en son royaume »). La raison d'État, en ce sens primitif, définissait la [...]

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