RAISON ET SENTIMENTS, Jane Austen Fiche de lecture
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Paru en octobre 1811, avec la seule mention « par une dame » en guise d’auteur, Sense and Sensibility (Raison et sentiments) est un roman de l’écrivaine britannique Jane Austen (1775-1817). Après avoir terminé Lady Susan, court roman épistolaire, celle-ci commença son premier roman complet, Elinor et Marianne, du nom des deux héroïnes du futur Raison et sentiments. Sa sœur se souviendra qu'elle l’avait lu à la famille « avant 1796 ». Les critiques lui réservèrent un accueil favorable et la première édition fut rapidement épuisée. Après ce premier succès, tous les romans de Jane Austen furent annoncés comme écrits « par l'auteur de Sense and Sensibility ». Le nom d'Austen n'apparut jamais sur ses livres de son vivant.
Un roman en forme de crise
Le roman commence par l’expulsion de Mrs Dashwood et de ses trois filles (Elinor, Marianne et Margaret) de leur propriété de Norland, dans le Sussex, qui, au nom du très masculin régime de l’entail (ou « majorat » en droit français),revient en héritage au fils aîné du défunt, en l’occurrence John, né du premier mariage de M. Dashwood. Bien qu’il ait reçu pour instruction de prendre soin de ses demi-sœurs, John est dissuadé de faire son devoir par sa femme cupide, Fanny. Les Dashwood déménagent donc à Barton Cottage, dans le Devonshire, où Marianne rencontre le colonel Brandon, célibataire de vingt ans plus âgé. Celui-ci exprime son intérêt pour la jeune fille, qui le décourage et tombe amoureuse du séduisant John Willoughby. Lorsqu’elle apprend la disparition inexpliquée de ce dernier, qui se révèle être un chasseur de fortune sans scrupules, Marianne tombe malade. Une fois rétablie, elle fait le choix d’un mariage « de raison » avec le colonel Brandon. Entre-temps, sa sœur aînée Elinor et Edward Ferrars, le frère de Fanny, ont développé un lien d’affection. Après divers quiproquos, Edward finit par demander Elinor en mariage, qui accepte.
Raison et sentiments est ainsi cadré par deux bornes matricielles, celle d’entrée, la propriété terrienne, et celle de sortie, le mariage, qui représentent les deux piliers sur lesquels repose le très conservateur équilibre de la société anglaise du début du xixe siècle. Le bouleversement initial va obliger la seconde épouse du défunt M. Dashwood et leurs filles à quitter le domaine familial et à s’exiler à l’autre bout de l’Angleterre pour tenter de reconstruire un monde, essentiellement féminin, cette fois. De nombreux romans du xviiie siècle ont pour point de départ cette expulsion d’un territoire légitime, l’intrigue consistant finalement en la reconquête d’une forme de légitimité. On trouvera aussi un exemple de l’entail dans un autre roman d’Austen, Orgueil et préjugés (1813).
On peut entendre dans la conjonction de « sens » (Sense) et de « sensibilité » (Sensibility) du titre du roman un écho de la tension, esthétique autant que morale, très présente à l’époque, entre classicisme et romantisme. Elinor, la fille aînée, est un peu l’héritière des Lumières, animée par le recul raisonnable, la modération et la recherche de l’harmonie. Elle se plie aux règles de la bienséance et de la politesse du xviiie siècle, dont elle perçoit la sagesse derrière la contrainte. À ses côtés, Marianne représente la fougue instinctive de l’être romantique, personnification de ce « culte de la sensibilité » du début du xixe siècle, où prédominent l'imagination, l'idéalisme et une remarquable sensibilité à la beauté de la nature.
Il importe toutefois de voir dans l’intitulé du romandavantage qu’une simple opposition binaire et de s’intéresser au sens de la conjonction and (« et »), qui invite à une lecture plus philosophique du mariage nécessaire entre raison et sentiments. Par ailleurs, les deux substantifs choisis par Jane Austen ne sont pas Reason et Sentiment, qui sont ceux qu’utilisent les philosophes, mais deux autres termes, Sense et Sensibility, de même racine et qui se recoupent sémantiquement. Loin d’être opposés à la raison, les sentiments sont au contraire ce qui lui donne une impulsion, une raison d’être, un sens. Car, interroge le roman, sans sentiments, peut-on vouloir quelque chose et peut-on se servir de notre raison pour y parvenir ?
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Écrit par
- Frédéric OGÉE : professeur de littérature et d'histoire de l'art britannique, université Paris Cité
Classification
Média
Autres références
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AUSTEN JANE (1775-1817)
- Écrit par Brian C. SOUTHAM
- 2 764 mots
- 3 médias
Raison et sentiments relate la vie des sœurs Dashwood, qui vivent dans la gêne. Marianne incarne les « sentiments », c'est-à-dire les épanchements amoureux. Elle s'éprend du beau John Willoughby, qui sous les dehors d'un amant romantique se révèle être un chasseur de dot peu scrupuleux. Lorsqu'il l'abandonne...
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