RAISON
La raison constructive et ses critiques
Raison et antiraison, souvent raisonnante, entrent ainsi en conflit. Foisonnement des sectes, affaiblissement, sinon du dogme, du moins de son rôle, concentration sur un domaine qui est considéré comme propre à la religion, tout cela exprime un antirationalisme tantôt inconscient ou larvé, tantôt hautement proclamé. De l'autre côté, s'affirme le pouvoir de la raison, mais d'une raison qui, comme la religion, a son domaine à elle, dont elle ne sort que pour s'égarer. C'est à cette situation que la grande métaphysique des xvie et xviie siècles veut répondre.
Le discours métaphysique
Elle le fait, à partir de Descartes, en essayant de déterminer les limites à l'intérieur desquelles elle peut être sûre d'elle-même et de ses résultats. Elle peut douter, elle doit le faire si elle veut s'assurer des fondements sur lesquels elle se propose de bâtir. Ce qu'elle découvre alors comme fondement, c'est la raison même : le doute raisonnable implique déjà la raison. À partir de là, tout devient possible. La raison se découvre finie, mais aussi capable de penser l'infini : preuve de l'existence d'un infini qui l'éclaire. Elle remarque sa différence fondamentale avec tout ce qui est matériel, donnée des sens : preuve qu'elle est une substance à part, indépendante en son essence du périssement qui caractérise tout ce qui est étendue. Elle sait qu'un être infini ne peut pas être menteur : les décrets divins, à découvrir dans la création, donnent solidité et consistance aux principes de la science. Les contenus du christianisme en tant que religion historique ne sont ni critiqués ni affirmés (Descartes se contente de la religion de sa nourrice), mais les principes absolus (ce que certains appelleront la religion naturelle, celle qui peut être développée par la raison humaine sans l'aide de la Révélation et qui sera naturelle parce qu'elle est, en droit, acceptable pour tout homme) peuvent être atteints par la pensée rationnelle, à tel point qu'un schéma du monde tel qu'il est en lui-même, c'est-à-dire dans l'esprit divin, peut être tracé.
Ce qui donne à la raison tant de confiance en elle-même c'est la série ininterrompue des succès que, en tant que calculatrice, elle remporte en physique et en cosmologie. Le monde naturel n'est pas seulement rationnel en soi en tant qu'œuvre d'une sagesse absolue ; sa rationalité peut être montrée et démontrée dans tous les détails, et, si certains domaines restent encore obscurs, ils ne sauraient résister à l'effort de la recherche, devenue consciente de sa méthode et se sachant en progrès constant. Peu importe ici (pour important que cela soit dans d'autres perspectives) que les successeurs de Descartes se séparent de lui, en particulier en soulevant le problème du rapport entre substance pensante et substance étendue, qu'un retour à la philosophie antique conduise Spinoza à affirmer l'identité de la raison cosmique et de la raison en l'homme (éliminant ainsi tout Dieu personnel en faveur d'une piété « cosmique »), que Leibniz veuille préserver à la fois l'unité entre monde de la physique et monde de la pensée tout en sauvegardant la conscience individualisée, que Malebranche et, à sa suite, Berkeley veuillent libérer la philosophie de tout matérialisme substantialiste : ce qui est commun à tous, c'est la confiance inébranlable en la force de la raison, suffisante pour découvrir le fond des choses dans un discours cohérent, puisque guidée par l'idéal d'une méthode qui, après avoir analysé, saura à présent construire un système qui soit en même temps système du discours mettant à nu le système du monde, fondement et canevas de toutes les connaissances.
Or la science moderne se[...]
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Écrit par
- Éric WEIL : professeur à l'université de Nice
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Média
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