RAISON
La raison absolue
C'est ce qu'on a appelé le dualisme kantien, entendement et sensibilité, raison théorique et entendement, raison théorique et raison pratique, connaissance des phénomènes et pensée d'un absolu non empirique (chose en soi), monde de l'expérience et monde de la loi de la raison, finitude de l'homme et infinité de la liberté. Ce dualisme a été la source et le moteur de toute la discussion ultérieure qui se développe sur le sol du kantisme. Fichte, Schelling, Hegel, malgré toutes les différences (et les différends) qui existent entre eux, cherchent à constituer un discours unique, saisie d'un Tout unique de la réalité naturelle et de la réalité intellectuelle, discours qui, sans qu'un extérieur le limite et s'oppose à lui, in-fini et sans un « autre » qui lui fasse obstacle, sans passivité, se tienne et se soutienne en lui-même.
Hegel et la raison sans extériorité
La tentative a été menée à son aboutissement (ou, selon un autre point de vue, à son échec définitif) par Hegel. Pour lui, le fini n'est pas en face de l' infini à la manière de deux partenaires ou adversaires : l'infini n'est pas vrai infini s'il est opposé à un fini, précisément parce qu'il serait déterminé, limité par celui-ci ; l'infini ne peut être que la totalité structurée du fini. Il en découle que ce qui est fini n'a pas de consistance vraie : sur le plan du concept comme sur celui de l'existence, il se défait et s'annihile lui-même, non point pour disparaître, mais pour être compris comme aspect particulier sans lequel ce Tout ne serait pas, mais aussi comme aspect qui ne peut pas être transformé en substance existant par elle-même ; kantien sur ce point décisif, Hegel s'oppose à son grand prédécesseur en affirmant que la raison est parfaitement capable de penser par elle-même le sensible, du moins en ce qu'il possède de structure et de raison. Ce n'est pas « comme si » le monde était raisonnable : s'il convient de parler d'un « comme si », c'est « comme si » le fait ou le concept isolés étaient compréhensibles en eux-mêmes sans être ramenés par la dialectique à leur rôle de simple aspect (moment), pourtant essentiel à sa place. Il suffit, pour s'en convaincre, d'essayer de maintenir tel concept particulier en lui-même : il se retournera, et l'Être pur, parce que pur de toute détermination, se montrera comme Néant ; la cause, n'étant que dans ses effets, aura son être en ceux-ci.
Cette dialectique n'est cependant pas ce qu'on appelle une méthode, un procédé inventé pour obtenir certains résultats auparavant envisagés et déclarés souhaitables. Elle n'est pas, non plus, exigence d'un discours qui voudrait parler d'un point de vue qui serait situé en dehors de la réalité – entreprise insensée puisqu'un tel point de vue ne saurait exister. Elle est l'exposition du processus intemporel dans lequel le discours de la raison expose et explicite (dé-veloppe) ce qui est en tant qu'il est, et où s'expose la situation de tout particulier à l'intérieur de ce processus. Elle est en même temps et inséparablement le mouvement intemporel de la réalité même, qui se dit dans le discours de la raison, se dit elle-même, puisqu'un être qui ne serait pas pensé, une pensée qui ne serait pas pensée de ce qui est, qui ne serait pas dans l'Être et de l'Être, seraient autant d'impossibilités. Le philosophe n'invente rien, il n'apporte rien, il assiste simplement à un développement, au spectacle dans lequel toute particularité qui veut se maintenir se retourne en son contraire sans pourtant disparaître, où le nouveau est justement le renversement du précédent, ne se comprend qu'en tant que tel, est donc cet antérieur qui, sublimé, dure dans cette négation, non de lui-même, mais de sa prétention à la réalité inconditionnée ([...]
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Écrit par
- Éric WEIL : professeur à l'université de Nice
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Média
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