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RĀKṢASA

Parmi les innombrables êtres intermédiaires entre les hommes et les dieux, la mythologie hindoue connaît diverses classes de démons réunies sous l'appellation générique de rākṣasa (« gardien »). Leur origine est mal définie : on dit parfois que ce sont des dieux déchus, punis pour quelque faute grave ; plus souvent, les textes les tiennent pour des hommes « grands pécheurs » et condamnés à assumer pour un temps la fonction démonielle (dans ce cas le rākṣasa s'acharne à découvrir celui qui doit le remplacer et, pour cela, à détourner les hommes du droit chemin) ; il est rare que l'on tienne les démons pour des êtres qui sont destinés à le rester pendant toute la durée du cycle cosmique. En tant qu'incarnation du mal, ils sont, en effet, le signe de la dégradation du dharma (la norme universelle, la loi morale et religieuse, l'ordre cosmique). Le mal, certes, est nécessaire pour punir les méchants et induire les justes en tentation, mais il n'en est pas moins un scandale, une rupture de l'ordre des choses ; il porte en lui-même sa propre condamnation. Aussi les rākṣasas sont-ils à la fois tourmenteurs et tourmentés : peut-être même souffrent-ils plus que les pécheurs qu'ils torturent. Et tous les courants de bhakti (« dévotion ardente ») s'accordent à penser que le dieu de bonté (Vishnu, Krishna, etc.) sauve les pécheurs et les démons aussi bien que les justes. On interprète, par exemple, l'épopée du Rāmāyana comme une œuvre de salut opérée par Rāma (incarnation de Vishnu) pour délivrer le démon Rāvana de sa condition mauvaise. L'enlèvement de Sītā (femme de Rāma) par Rāvana devient la felix culpa qui justifie l'intervention rédemptrice de Vishnu : le trait qui perce le cœur de Rāvana vaincu est la manifestation de la grâce puisqu'il est lancé par Rāma. Rāvana sauvé monte au ciel en chantant les louanges du dieu sauveur.

Quant à la mythologie des rākṣasas, elle est riche et pittoresque compte tenu de l'imagination déployée par les auteurs de contes populaires, de ballades, d'œuvres littéraires de toutes sortes, qui, aidés par les théologiens, sont attentifs à terroriser les pécheurs éventuels. Toutes les façons possibles de tourmenter le corps et l'âme sont illustrées par l'existence de tel ou tel type de démons (« ébouillanteurs », « dévoreurs », « brûleurs », entre autres). À ceux-ci s'ajoutent les êtres mauvais qui, assure-t-on, parcourent la surface de la terre dans le dessein de faire souffrir « gratuitement », sans référence au péché ; les vampires, par exemple, sont des « âmes en peine », laissées sans sépulture religieuse, qui boivent le sang des vivants pour subsister ; d'autres vivent une existence de fantômes, d'ogres, de loups-garous. Pour se protéger des démons, l'homme doit se les rendre favorables par des oblations et mieux encore s'en défendre par des amulettes, des incantations ; inversement, le sorcier peut les prendre à son service grâce à des pratiques de magie noire. Face aux démons, cependant, le refuge suprême est la sauvegarde offerte en permanence aux hommes pieux par Agni (dieu du feu), dont la flamme pacifique brille éternellement au foyer domestique.

— Jean VARENNE

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Lyon-III

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Autres références

  • TULSĪ-DĀS (1550 env.-1623)

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    • 1 808 mots
    ...méchants et les démons eux-mêmes n'y échappent pas. Ainsi les furieux assauts que se livrent Rāma, assisté par ses légions de singes, et les formidables Rākṣasas, qui ont pour chef Rāvaṇa, sont décrits non sans complaisance : ce sont des torrents de sang qui coulent de part et d'autre, des cadavres qui...