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DAHRENDORF RALF GUSTAV (1929-2009)

Pour une société libre et démocratique

Pour permettre la réalisation de toutes les potentialités sociales, il faut que le système social ne transforme plus les opinions en dogmes, et qu'il puisse réellement garantir à tous un maximum de chances par rapport au passé. Pour Dahrendorf, seule l'égalité des conditions de départ ainsi que la certitude qu'il n'y aura pas de transfert de privilèges d'une génération à l'autre assurent le bon fonctionnement de la société ouverte, libre et démocratique. La lutte contre les inégalités est garante de progrès. Les hommes progressent, en effet, grâce aux changements d'objectifs et de motivations : les chances de changement suscitent des espoirs, lesquels soutiennent les efforts nécessaires à la résolution des difficultés et des problèmes. Une société libre et démocratique doit garantir à chaque individu un ensemble de chances de réussite et de possibilités effectives de les réaliser. C'est ce que Dahrendorf nomme citoyenneté, ou entitlements, c'est-à-dire la possibilité d'accession, pour les faibles et pour les exclus, aux biens matériels et culturels produits par la société.

Les révolutions européennes de 1989-1990 ont détruit l'égalité totalitaire, afin d'instaurer une égalité de choix des points de départ conçue en termes d'entitlements. Ces entitlements sont des biens d'accès au monde des „opportunités“, c'est-à-dire un ensemble de droits universels d'agir et d'entreprendre, de chances de vie transcendant le marché. La liberté comme absence de contraintes n'est en soi pas suffisante, car les individus doivent pouvoir utiliser les circonstances favorables que la vie leur offre. Tout en se ralliant à la distinction classique entre liberté négative (liberté d'obligations externes) et liberté positive (affirmation d'un certain mode d'être et de faire), Dahrendorf pense que la liberté est elle-même une chance, une condition nécessaire au choix de sa propre voie. Il s'agit non seulement de nous permettre d'opérer des choix, mais aussi de nous fournir les possibilités de les concrétiser. La liberté du marché, la liberté de la presse, la liberté de vote sont vides de sens si les citoyens ne sont pas en mesure d'effectuer des choix réels. Il ne suffit pas qu'un État mette à la disposition de ses citoyens une série de droits formels (instruction, travail, vote, participation, etc.), encore faut-il que ces mêmes citoyens puissent réellement les exercer.

Benedetto Croce distinguait le libéralisme en tant que conception éthico-politique et le libéralisme en tant que mode d'organisation de la vie économique. L'auteur des Réflexions sur la révolution en Europe, 1989-1990 va plus loin : pour lui, le libéralisme est une conception de la vie qui place la liberté au-dessus de tout, et qui inscrit au cœur même de la vie sociale la garantie, pour tous les individus, de disposer de chances réelles et objectives d'exercer leurs choix. Le libéralisme ne doit pas seulement éliminer les obstacles qui entravent la croissance humaine ; il doit avant tout assurer à tous davantage de chances, de possibilités d'accomplissement individuel et collectif. Il suppose que soient satisfaites deux conditions préalables : le pluralisme conçu comme droit à l'existence de plusieurs modes de pensée (diversité de points de vue, de valeurs et d'intérêts pouvant influencer l'objet des débats et des prises de décision) et comme participation active à une société d'associations partisanes, ainsi que l'assurance donnée aux individus de pouvoir effectivement exercer les choix qui se présentent à eux. Une véritable politique libérale visera à concilier ces droits avec l'efficacité ; elle assurera l'équilibre entre les raisons de l'efficience et celles de la justice, entre le développement économique et l'équilibre social.[...]

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Écrit par

  • : professeur ordinaire de sociologie générale à l'université de Lausanne, directeur de l'Institut d'anthropologie et de sociologie

Classification

Autres références

  • CONFLITS SOCIAUX

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