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RĀMAKRISHNA (1836-1886)

La spiritualité et la mission

Rāmakrishna aurait eu sa première extase dès l'âge de six ans en contemplant la splendeur de la nature, qui le plongeait dans une joie insoutenable. Mais il eut son expérience spirituelle la plus déterminante à dix-neuf ans quand, prêtre de la déesse Kālī, il « réalisa » la Mère divine et reçut la connaissance directe de l'énergie cosmique, le secret de la création tout entière, l'angoisse de ne jamais atteindre cette connaissance le conduisant alors au seuil du suicide. Il n'existe pas cependant un rapport quelconque entre cette angoisse et la « réalisation » suprême, métaphysique, qui ne saurait être l'aboutissement d'une série d'efforts. Ce n'est qu'après la « réalisation » de la Mère divine qu'il rencontra son premier guru, une sainte religieuse, Bhairavī Brāhmani, qui l'initia à la voie du tantrisme et reconnut en lui une incarnation divine ; cela fut confirmé par deux grands pandits invités pour l'examiner : son comportement étant considéré comme n'ayant rien d'un déséquilibre mental, les fidèles se rassurèrent et les pèlerins se multiplièrent. Un second guru, Tota Puri, plein de force et d'autorité, enseigna à Rāmakrishna le Vedānta et le plongea dans un très haut état d'absorption en brahman le nirvikalpa-samādhi, état psychique sans contenu entraînant la suspension du souffle. Il devait y rester six mois sans reprendre conscience du monde manifesté. Il s'en éveilla entièrement transformé. Il avait atteint le bhāva-mukha, le « seuil du devenir », qui lui permettait d'appréhender simultanément l'absolu et le relatif. Effectuant en lui-même la synthèse de l'inconditionné et du conditionné, s'identifiant avec la totalité de la conscience cosmique, il dépassait l'impassible état de plénitude de jīvan-mukta, « délivré-vivant », car il pouvait par sa volonté retrouver le plan de l'ignorance cosmique, « jeu de brahman » : il le fit à chaque nouvelle expérience dualiste, qu'il se référât alors à la spiritualité indienne ou au christianisme, ou encore à l'islam. Il voyait « brahman les yeux ouverts ». Se situant à la fois dans brahman et dans la manifestation, il pouvait s'identifier à ceux qui venaient à lui et participer à leurs souffrances.

Rāmakrishna voyait Dieu en chaque homme et déclarait que le déséquilibre et la souffrance du monde viennent de ce que l'être humain ne cherche pas à vivre en Dieu. Aussi priait-il pour obtenir des disciples. Mais il ne les arrachait pas à leur religion originelle ; et il s'était lui-même, pour les comprendre, astreint à différentes disciplines spirituelles, méditant sur Dieu selon les voies de l'islam, se faisant expliquer la doctrine bouddhique et les textes chrétiens. Il avait senti à ses côtés la personne du Christ et avait eu la révélation de l'immensité de son amour. À ceux qui lui demandaient comment « réaliser » Dieu, il répondait : « Il nous attire constamment comme un aimant attire le fer. Mais le fer n'est pas attiré s'il est couvert de saleté. Quand on a ôté la saleté, le fer se plaque aussitôt contre l'aimant. » Toutefois, Rāmakrishna jugeait que les chrétiens et les adeptes du Brahmo Samaj, en insistant jusqu'à l'obsession sur la notion de péché, se préparaient à devenir des pécheurs. Il proposait l'amour de Dieu comme le meilleur moyen de supprimer les castes : « Ceux qui aiment Dieu, disait-il, n'appartiennent à aucune caste. Leur corps et leur esprit sont purifiés par cet amour [...] Un brahmine qui n'a pas cet amour n'est plus un brahmine, et un paria qui a cet amour n'est plus un paria. » La charité était pour lui la reconnaissance fraternelle du divin dans toutes les créatures, et il flétrissait la satisfaction pleine de supériorité[...]

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Écrit par

  • : membre de l'École française d'Extrême-Orient, diplômée de l'École pratique des hautes études

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