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RĀMĀNUJA (1017-1137)

Les doctrines

Le viśiṣṭādvaita insiste à la fois sur l'Unité d'un premier principe d'où découle tout ce qui existe – ce qui est spirituel et ce qui est matériel – et, contre l'idéalisme śaṅkarien, sur la réalité des âmes individuelles et du monde matériel. Dieu, Personne Suprême, est garant de l'existence de celles-là comme de celui-ci : l'âme, le monde et Dieu constituent trois entités réelles.

Dans ses gloses, Rāmānuja appelle souvent la Personne Suprême « le Brahman ». Mais il ne s'agit pas du brahman impersonnel des upaniṣad ; sous l'identité d'appellation, une différence subsiste. Bien qu'étant le Tout illimité, Il demeure une Personne, à la fois immanente et transcendante à la création, objet d'adoration, Principe qui unifie la multiplicité issue de Lui. Il possède toutes les qualités à un degré infini. Sa forme suprême (parā) est inaccessible, mais Il s'insère dans le monde du relatif par ses diverses manifestations. Dans le domaine cosmique se développent les vyūha, expansions divines qui, issues l'une de l'autre à la manière d'hypostases, assument éternellement les fonctions de création et de protection de l'Univers. Dans le domaine du dharma, ordre également cosmique mais aussi moral, Il apparaîtra occasionnellement, comme avatāra, « descentes », dans un dessein précis qui concerne toujours le maintien ou le rétablissement de l'ordre. On peut encore L'atteindre, par intuition mystique, comme régent intérieur (antaryamin), résidant au plus profond du cœur humain. Enfin, on a vu que rendre un culte à une statue consacrée était, en fait, entrer en contact direct avec la divinité.

Quant aux divers dieux du panthéon hindou, Rāmānuja les honore comme des formes, elles aussi, de la Personne Suprême. Puisque Dieu n'a pas de limites, le monde créé, spirituel et matériel ne peut se différencier vraiment de Lui. Dans le relatif, il en apparaît séparé ; en essence, il Lui est identique.

Simple, sans étendue, une âme individuelle (jīva) ne peut ni croître ni décliner ; préexistant au corps, à la dissolution de celui-ci, elle transmigre jusqu'au moment où, par sa dévotion et sous l'effet de la grâce divine, elle rejoint l'Unité supérieure qu'est la Personne Suprême. Et puisqu'en son essence elle ne se différencie pas de Dieu, elle trouve en Lui son accomplissement. Elle est libre par nature et c'est le poids de ses actes antérieurs ( karman) qui l'enchaîne au monde matériel. Le karman, bien que s'exerçant de lui-même, de façon quasi mécanique, n'a pourtant pas d'activité autonome, indépendante de Dieu. Comme tout ce qui existe – le qualifié –, il est sous son contrôle absolu ; cependant, il n'est pas créé directement par Lui. Il appartient au domaine de la création naturelle, celle de la Nature initiale (prakṛti).

Cette Nature initiale est éternelle et soumise éternellement au pouvoir divin. Quand elle est au repos, ses trois constituants (guṇa) demeurent en équilibre ; à la création du monde, l'harmonie se rompt : les trois constituants (sattva, lumière et paix ; rajas, trouble et agitation ; tamas, ténèbres et inertie), par le jeu de leurs rapports où tantôt l'un tantôt l'autre domine, donnent naissance à la diversité de l'Univers. On retrouve là les thèses du sāṃkhya, qui, comme tous les autres systèmes de pensée indiens élaborés depuis le vie siècle avant l'ère chrétienne, a été conçu pour délivrer l'âme du karman. Rāmānuja explique la relation de la création à Dieu en professant que le Seigneur omniprésent anime la totalité de l'Univers constituant son corps, comme le jīva invisible anime le corps entier. Mais, si le jīva n'a sur celui-ci qu'une action limitée, la Personne Suprême[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études honoraire à l'École pratique des hautes études (Ve section)

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