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GÓMEZ DE LA SERNA RAMÓN (1888-1963)

Ce fut l'un des plus grands joueurs de mots que l'Espagne ait produit que Ramón Gómez de la Serna, dit Ramón. Dilapidant parfois son talent en romans, mais le regagnant tout aussitôt en quelques phrases, sa fécondité fut comparée à celle de Lope de Vega et ses facultés d'invention au génie créateur de Picasso.

Madrilène de naissance, Ramón passa la plus grande partie de sa vie à le devenir par vocation. À partir de la guerre civile, sans avoir jamais pris publiquement position, il vécut à Buenos Aires où il mourut. Mais c'est Madrid qu'il a explorée, conquise et représentée, dans les années vingt, pour tous ceux qui sont venus, de près ou de loin, le voir assis à sa table du café Pombo, entouré de sa tertulia, dont la conversation, les rites, les jeux et les proclamations sont aujourd'hui entrés dans l'histoire littéraire, tout comme la tour de marbre emplie d'objets bizarres qu'il habitait au centre de la capitale, variante surréaliste de la tour d'ivoire. « Il sort parfois de son appartement et de sa vie purement intimiste, a-t-il écrit de lui-même, pour donner des conférences en excentricité », juché sur un trapèze, un réverbère à gaz ou un éléphant. Car il parle, ou il écrit, sans arrêt : du théâtre, El teatro en soledad (Théâtre en solitude), drame dans le drame ; des romans comme El doctor inverosímil (1914-1921) ou El torero Caracho (1926), de faux romans (Seis falsas novelas, 1926) ; des nouvelles ; des critiques ; des essais, tel l'Ensayo sobre lo cursi (1931, Essai sur le ridicule) ; des lettres souvent adressées à lui-même ; des préfaces à des traductions, de Nerval à Lautréamont ; des portraits d'écrivains, de rues et de places ; le Guía del Rastro (1915), un guide du marché aux puces madrilène ; des livres d'art, de son Goya (1928) à son Gutiérrez Solana (1944) en passant par Ismos (1931) ; des biographies, d'Oscar Wilde, de Quevedo ; une autobiographie intitulée Automoribundia (1955). Mais, s'il cultiva tant de genres, il n'en créa qu'un seul : la greguería.

Groupées autour d'un thème comme dans El Circo (1923), le plus souvent publiées telles quelles, les greguerías sont redéfinies sans cesse. « métaphore = greguería », Ramón a donné cette formule et beaucoup d'autres, depuis « urne de mes cendres quotidiennes » à « œillet sur un mur ». La greguería serait donc à la fois « ce qui reste » d'un jour de littérature, ce qui résiste aux ratures et ce qui va partir, s'éteindre ou se faner, mais dont il capte l'illumination, fusée, éclair, œillet. « La greguería est née vers 1910, raconte Ramón, un jour de fatigue et de scepticisme où je pris tous les ingrédients qui se trouvaient dans mon laboratoire, flacon après flacon, et les mélangeai. De leur précipité, de leur dissolution radicale surgit la greguería. » Son art est le raccourci, son dessin l'ébauche, son propos caché car l'humour en masque le lyrisme. De la saillie elle a le trait brillant, de la repartie la promptitude, de l'aphorisme le grand sens en peu de mots, de la maxime l'aspect sentencieux ; mais elle est le contraire de la maxime car elle ne transcende rien, de l'aphorisme car elle flâne souvent, de la repartie car elle dialogue peu, de la saillie car elle est parfois triste. Bref, incomparable, la greguería est « ce qui reste » de Ramón Gómez de la Serna, son plus beau jeu ou tour de mots.

— Florence DELAY

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Écrit par

  • : maître assistant à l'U.E.R. de littérature générale et comparée de l'université Paris-III, agrégée d'espagnol

Classification

Autres références

  • ESPAGNE (Arts et culture) - La littérature

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    • 13 749 mots
    • 4 médias
    ...d'Ors, d'un style aussi précieux que les délicieux méandres de sa subtile pensée ; Gabriel Miró, savoureux poète en prose de la côte levantine ; Ramón Gomez de la Serna, célèbre par son imagination d'une fécondité effrénée, qui bouleverse toutes les données de l'univers, le réanime en combinaisons disparates...