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SENDER GARCÉS RAMÓN JOSÉ (1901-1982)

L'écrivain exilé : la réflexion métaphysique

On a trop souvent admis comme une évidence le fait que l'exil ait provoqué chez Sender un changement profond, et de là est né le sentiment communément partagé qu'il y a dans sa vie et son œuvre deux époques bien distinctes, voire opposées. Le fait est que le changement existe. Mais peut-on vraiment parler de « rupture » ? Certes, il semble que Sender ait acquis, en même temps que la nationalité américaine (1946), des modes de pensée qui paraissent a priori incompatibles avec son action sociale d'autrefois. Il publie notamment en 1957 un roman résolument anticommuniste, Los Cincos Libros de Ariadna, où l'on peut lire dans le prologue : « Ce qu'il faut faire [...], c'est ne pas agir comme des hommes d'une classe sociale mais comme un être humain élémentaire et générique. Nous n'acceptons pas le truc de la « conscience de classe ». À la fin de sa vie, il se dira attiré par un socialisme du type Fabian Society, rejetant l'activisme et la violence. Il est également évident qu'à partir de son premier roman de l'exil, Proverbio de la muerte (1939), le ton a changé : le scepticisme et l'amertume, déjà visibles auparavant, mais mitigés par l'enthousiasme militant, dominent très largement. On a désormais l'impression que la réalité historique qui semblait jusque-là nourrir l'œuvre de Sender est transcendée au profit d'une vision poétique et symbolique fortement teintée de pessimisme. On peut remarquer aussi que, à l'exception de Réquiem por un campesino español, les romans qui parlent de la guerre civile, de El Rey y la Reina (1949) à El Fugitivo (1976), ne laissent au conflit que le rôle de toile de fond sur laquelle on débat de problèmes métaphysiques. Le roman historique lui-même, pour lequel Sender a gardé une certaine attirance, plonge maintenant dans un passé lointain (Bizancio, Lope de Aguirre, Carolus Rex, Tupac Amaru, etc.) pour rejoindre une sorte d'atemporalité poétique.

Mais on s'aperçoit vite que ces changements ne sont peut-être que de surface et que c'est plutôt sur l'interprétation de ses premières œuvres qu'il y a un certain malentendu : les Espagnols, influencés par l'atmosphère de lutte sociale et de bouleversement politique des années trente, ont mis en circulation une image de Sender partielle, incomplète, image que le phénomène de l'exil a contribué ensuite à figer tout en l'amplifiant. Sender, certes, a participé à la lutte sociale, mais, par individualisme et aussi à cause de sa qualité d'intellectuel, il n'a jamais été un militant à part entière dans quelque mouvement que ce soit. De l'anarchisme, il a retenu, entre autres choses, un apolitisme farouche. Quant à son œuvre, s'il est exact qu'au début elle est liée à des situations concrètes, elle manifeste néanmoins quelque chose d'absolument constant : l'obsession des forces profondes animant le devenir humain au-delà d'une circonstance historique qui n'est que la manifestation superficielle de la réalité. Le titre de son premier roman, Imán (« l'aimant »), signale déjà l'importance des forces élémentaires qui, sous-jacentes à la causalité sociale, forment une sorte de causalité cosmique, quasiment panthéiste, qui échapperait au contrôle des hommes et se confondrait à la limite avec l'absurde. On est donc plus proche de Schopenhauer que de Marx ou de Bakounine.

C'est dans La Esfera (1947), version remaniée de Proverbio de la muerte, que Sender a exprimé le plus complètement cette philosophie de coloration nettement existentialiste, implicite dans tous ses romans. La « sphère » est l'expression symbolique d'une vision moniste du monde, vision totalisante qui prétend dépasser les contradictions habituelles entre bien[...]

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Écrit par

  • : ancien maître de conférences, université de Paris-IV-Sorbonne, U.F.R. de langue et littérature espagnoles

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