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MENÉNDEZ PIDAL RAMÓN (1869-1968)

L'importance de Menéndez Pidal dans la culture espagnole tient à sa longévité et au lieu de son intervention, puisque son travail — près d'un siècle d'autorité, âprement défendue — repose sur le trépied où s'établit l'imaginaire des nations : l'histoire ancienne, la langue et l'épopée (Castilla, la tradición, el idioma, 1945). Le retentissement en fut considérable dans le champ de l'idéologie nationale, et d'aucuns n'ont pas manqué de travestir Pidal en idéologue du franquisme. Nul doute que « Don Ramón » ait occupé une place prépondérante dans l'institution scientifique et culturelle de l'après-guerre civile, ni que son propos ait été largement exploité par l'imagerie nationaliste ; mais la réalité d'un homme de science est sans doute plus humble et plus complexe : les travaux de Pidal s'enracinent dans la mentalité et les thèmes de réflexion de la « génération de 98 (1898) », dont l'ensemble des représentants, à de très rares exceptions près, furent sollicités par les thèses de l'un et l'autre des camps en présence. Le désastre colonial porta ces intellectuels à s'interroger sur la place qui devrait être désormais celle de leur pays dans le monde. Pidal chercha dans la construction de l'Espagne médiévale l'identité de la civilisation hispanique et son apport à l'Occident.

Le point de départ — son legs majeur, auquel il donna très jeune une forme définitive — fut l'étude de l'épopée. Confronté aux travaux de Bédier, qui faisaient miroiter en Europe les fastes de la geste française, Pidal s'employa à défendre (en dépit du nombre extrêmement modeste des manifestations écrites) l'existence d'un trésor épique espagnol. Il fallait, pour cela, que d'autres écrits témoignent. Tel poème savant à contenu historique (le Poème de Fernand González, dans L'Épopée castillane à travers la littérature espagnole, 1910), un corpus poétique renaissant et classique (Notas para el romancero del conde Fernán González, 1899 ; El Romancero. Teorías e investigaciones, 1928), les chroniques (La Leyenda de los infantes de Lara, 1896 ; Relatos poéticos en las crónicas medievales, 1923) furent mis à contribution pour attester le fonds épique perdu (Reliquias de la poesía épica española, 1951). Dans le débat qui opposait « individualistes » et « traditionalistes », Menéndez Pidal prit parti pour les seconds tout en renouvelant leurs thèses par la théorie de l'« état latent » : la vision directe des événements suscite un témoignage poétique oral qui, refondu sans cesse par les jongleurs, adapté par les prosateurs, fractionné par la mémoire populaire, laisse çà et là l'empreinte mouvante d'une courte chanson et, dans l'écrit, le reflet figé (plus rarement, la transcription) d'un de ses « états » (Le Romancero et l'état latent dans la poésie épique, 1959). Sous le folklore, sous la poésie historique savante ou tardive, sous l'historiographie, la geste ; sous la geste, les faits : la thèse du « vérisme » de l'épopée médiévale espagnole (où s'appuie la vision historique de Menéndez Pidal, et la dimension idéologique de son œuvre) est induite de cette manipulation théorique qui construit l'histoire à partir de la littérature afin d'illustrer ensuite « l'historicité » de celle-ci (Realismo de la epopeya española, 1930). Menéndez Pidal fut ainsi amené à inventer quantité d'œuvres perdues, mais aussi, pour mieux en marquer la trace, pour mieux arguer d'une fidélité aux faits, à retoucher les textes existants, à reculer abusivement leur datation. Parmi ceux-ci, la seule chanson de geste espagnole dont l'écrit ait conservé une version intégrale : la Chanson de mon[...]

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Écrit par

  • : agrégé d'espagnol, maître de conférences à l'université de Paris-XIII

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  • CID LE

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    • 2 823 mots
    Le grand érudit espagnol R. Menéndez Pidal a restauré la vieille chanson de geste à partir de sa copie de 1207, signée de Per (Pedro) Abad (ou Abbat). Il a même su lui conférer une nouvelle actualité en 1898, au cours d'une crise qui affecta profondément la vie nationale outre-Pyrénées. Historien...