HAUSMANN RAOUL (1886-1971)
« Un jour il était photomonteur, l'autre peintre, le troisième pamphlétaire, le quatrième dessinateur de mode, le cinquième éditeur et poète, le sixième „optophonéticien“ et le septième il se reposait avec son Hannah. » À Hans Richter, son compagnon d'armes dans l'épopée dada, on doit d'avoir ouvert la voie, dès 1965, à la relecture de l'œuvre de Raoul Hausmann : dans Dada, art et anti-art, Richter imagine qu'un jour sera publié « dans l'Encyclopædia Britannica que ce fanatique de la création a jeté le doute sur quelques-uns des points névralgiques de l'évolution moderne – points dont nous ne sommes pas vraiment conscients encore ».
Le « dadasophe »
S'il fallait dresser une carte de l'itinéraire accompli tout au long de sa vie par Hausmann, une ligne brisée relierait Vienne en Autriche (son lieu de naissance, en 1886) à Berlin de 1900 à 1933, centre culturel propice à sa formation intellectuelle et picturale, où il anime une des branches du mouvement dada, de concert avec Richard Huelsenbeck et Johannes Baader et en lien avec Kurt Schwitters à Hanovre. Cette ligne se prolongerait jusqu'à Limoges, où Hausmann reprend ses recherches en 1945, et les poursuit jusqu'à sa mort en 1971, développant encore son œuvre picturale et photographique et publiant beaucoup. D'autres segments pointeraient Jershof en mer Baltique et l'île de Sylt, en mer du Nord, dans les années 1920, ainsi qu'Ibiza de 1933 à 1936, très présents dans son œuvre de photographe. Figureraient aussi des lieux de transit communs aux exilés de l'époque, à Zurich, Prague et Paris. Ces coordonnées correspondent aux évolutions multiformes d'une œuvre pluridisciplinaire, encore à étudier. En effet, manque une édition accessible des œuvres complètes de celui qui se définissait comme un « homme de 5 000 paroles et de 10 000 formes ». Cependant, une partie de son œuvre commence à faire l'objet de réédition, dont Courrier Dada (1958).
Raoul Hausmann épouse en 1908 la musicienne Elfriede Schaeffer. Peintre, il s'est d'abord formé auprès de son père. Il lit Goethe, Nietzsche, Hölderlin, le libertaire Salomo Friedlaender, alias Mynona, et Whitman, qui lui ouvre « les portes du sentiment d'universalité, d'humanité et de responsabilité ». Hausmann évolue dans les milieux expressionnistes, autour de la revue Der Sturm. En 1916, sa toile Cheval jaune (Musée national d'art moderne - Centre Georges-Pompidou, Paris) témoigne à la fois de son admiration pour Delaunay, de l'esprit du Blaue Reiter, et de l'influence d'artistes russes, que traduit autrement la Composition abstraite de 1918, où l'emploi de papiers collés révèle l'apport du cubisme. La tentation des romantiques allemands, et de Novalis en particulier, d'« écrire pour ne rien dire », les recherches futuristes sur la langue, la poésie d'August Stramm (1874-1915), qui aligne des mots-sons sans relation entre eux, vont être pour lui déterminantes. Désireux de « libérer le parler de l'esclavage grammatical et en même temps [de] donner libre cours à d'autres sonorités que celle que le langage [logique] avait comme base d'expression phonétique et audible », Hausmann assemble des lettres de manière aléatoire. Ses affiches optophonétiques (Plakatgedicht, ou affiche-poème, 1918) et la récitation de ses poèmes phonétiques participent des inventions du groupe dada berlinois. Le « dadasophe » Hausmann, « chanteur de voyelles et de consonnes » et merveilleux danseur (voir son portrait dans ce rôle, par le photographe August Sander en 1929), réalise alors de véritables performances. Il relie « toutes les formes d'expression artistique [...] les unes aux autres » : il s'agit pour lui, dira Vera Broïdo, qui sera sa compagne, d'« une sorte de construction[...]
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Écrit par
- Martine DANCER : conservateur du Patrimoine, musée d'Art moderne de Saint-Étienne
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