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RATIONALISME

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Être rationaliste aujourd'hui

Que signifie, et à quoi engage, aujourd'hui, l'adoption d'une attitude rationaliste ? Les questions auxquelles il faut indirectement répondre sont dès lors : qu'appellera-t-on raison ? assignerons-nous des limites à la raison, et lesquelles ? Bien entendu, la réponse à ces questions constitue sinon une doctrine avec ses dogmes, du moins une prise de position philosophique, c'est-à-dire le choix d'une interprétation qui donne sens à notre expérience globale d'être humain. Mais nous essaierons ce faisant de signaler d'autres solutions possibles, en même temps que de signaler quelques contrefaçons notoires du rationalisme. Nous adopterons successivement trois perspectives : la raison et la connaissance ; la raison et l'histoire ; la raison et l'éthique.

La raison et la connaissance

Être rationaliste, c'est assurément d'abord accorder un statut sans équivoque à ce que nous connaissons par expérience à travers le truchement de nos sens. Se proposer de reconstruire intégralement toute notre connaissance du monde par le seul effort d'une pensée abstraite ne saurait être une position tenable aujourd'hui, et procéderait d'une espèce d'hyperrationalisme tournant à vide. Un rationaliste contemporain doit reconnaître l'héritage des grands empiristes anglais et écossais des siècles classiques, sans pour autant être contraint d'adopter leur thèse : que l'expérience serait source unique de tout savoir.

C'est que l'empirie est faite de données préparées, et ne se confond point avec l'impression immédiate des sens. Un empiriste rationnel se rend au témoignage des sens, mais à un témoignage contrôlé, transmis, sinon transposé, par une instrumentation intelligible. Il accepte qu'un considérable appareil, à la fois matériel et conceptuel, s'interpose entre la sensation et les « données », à la condition que l'effet de cet appareil soit analysable et compris. Ainsi en est-il du rationaliste conséquent, pour lequel pareille épreuve est plus décisive qu'une simple concordance de témoignages, toujours sujets aux illusions et aux préjugés de toute sorte.

L'établissement des faits apparaît en effet comme une étape essentielle de l'exercice de la raison. Pour prendre un exemple, c'est sur ce point que portent les discussions critiques des « phénomènes parapsychiques ». Il n'est nullement conforme à l'attitude rationaliste de nier d'entrée de jeu la possibilité de la plupart des faits allégués en ce domaine, qui ne sont guère moins vraisemblables que pouvait l'être naguère la transmission à distance des images et des paroles. Mais il est certainement conforme à cette attitude d'exiger que la description précise et l'existence de tels faits soient établies, en recourant à tous les moyens et en s'entourant de toutes les précautions dont dispose dans le moment notre science pour fixer la trace des phénomènes.

D'une manière plus générale, il appartient à la pensée de mettre en question le sens même de la notion de fait dans chaque contexte d'expérience. Problème assurément résolu dans la plupart des cas pour les sciences de la nature classiques, mais qui ne laisse pas de se présenter dans certaines circonstances expérimentales nouvelles apparaissant par exemple en microphysique. Sans doute les traces photographiées dans l'atmosphère d'une chambre de Wilson, le comptage des clics d'un compteur Geiger sont-ils bien des faits au sens trivial de la perception et de la science classique. Mais la collision ou la création de particules auxquelles on les dit correspondre ne sauraient être annoncées comme des faits dans ce même sens, et les caractères attribués aux faits dans le sens usuel ne peuvent leur être transférés sans réflexion.[...]

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