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RATIONALITÉ ÉCONOMIQUE

Rationalité par rapport aux fins et par rapport aux valeurs

Si l'apport du schéma de rationalité économique à la connaissance positive consiste essentiellement non dans la vérité empirique qu'il contient mais dans le support fourni à la formalisation de la science économique, il reste à juger du contenu et de la portée de cette rationalité. On rencontre ici la distinction célèbre que fait Max Weber (Économie et Société) entre « rationalité par rapport à un but » (Zweckrationalität) et « rationalité par rapport aux valeurs » (Wertrationalität). Pour la très grande majorité des économistes l'action économique se situe tout entière du côté de la rationalité « par rapport à un but » – c'est-à-dire de la rationalité des moyens. À nouveau, M. Allais l'exprime avec clarté : « [...] en dehors de la condition de cohérence, il n'y a pas de critère de rationalité des fins considérées en elles-mêmes. Ces fins sont absolument arbitraires. Il en est ainsi comme en matière des goûts. Ils sont ce qu'ils sont. »

Seule la recherche de la rationalité instrumentale, c'est-à-dire celle de la meilleure combinaison des moyens au service de fins posées extérieurement au système, serait du ressort de la science économique. Dans cette conception, la rationalité tend à se confondre avec l'efficacité.

Bien que l'orientation tout entière de la science économique cherche à distinguer nettement la fin et les moyens, il ne semble pas qu'on puisse opérer un tel partage avec autant de rigueur. On ne peut atteindre une fin déterminée qu'en passant par un certain nombre d'objectifs intermédiaires qu'on peut aussi bien considérer comme des moyens.

Plusieurs auteurs ont, en outre, souligné que cette autonomisation de la rationalité instrumentale s'est fait jour à un moment déterminé de l'évolution économique et qu'elle est liée à l'avènement du capitalisme. Pour O.  Lange, c'est dans l'entreprise capitaliste que pour la première fois le principe de rationalité est mis en œuvre dans toute sa plénitude. Il ne pouvait pas, en effet, apparaître plus tôt, car dans l'économie traditionnelle les fins économiques ne sont pas autonomes ; elles sont noyées dans une multitude de fins non commensurables et commandées, entre autres, par la coutume, la morale, la religion. La genèse de la production capitaliste a permis de les coordonner dans la recherche du gain monétaire. En même temps, cette dernière devient une activité nécessairement intentionnelle : elle suppose le raisonnement qui compare les moyens entre eux, et donc cherche à les exprimer sous une forme quantitative. L'hypothèse de Lange conduit à admettre, comme l'écrit M. Godelier, que c'est le développement des rapports marchands et monétaires, la recherche du gain monétaire et la pratique de la comptabilité qui auraient fait naître la rationalité économique.

L'analyse de Weber converge ici avec celle de Lange : il estime que le seul type d'économie qui permette la réalisation de la rationalité instrumentale est caractérisé par l'échange monétaire et la propriété privée des moyens de production, parce qu'ils rendent possible le calcul économique. Ainsi le capitalisme institutionnalise ce que Weber appelle la « rationalité formelle » de l'action économique. Mais, à la différence de Lange, Weber ne présente pas cette rationalité formelle comme un objectif historique fondamental. Il lui oppose, au contraire, une « rationalité substantielle » qui correspondrait à l'ensemble des aspirations des individus et des groupes et qui lui semble frustrée par le développement du capitalisme : l'économie de marché ne satisfait que les besoins solvables, elle perpétue l'opposition entre salariés et capitalistes, crée des tensions qui peuvent entraîner des révolutions ou, tout[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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