RATIONALITÉ ÉCONOMIQUE
Rationalité « réelle » et rationalité dans la prise de décision
Une autre distinction, assez éclairante, a été élaborée récemment (1978) par H. Simon ; c'est la distinction entre rationalité réelle (substantive) et rationalité de procédure (procedural).
– On dit qu'un comportement possède une rationalité réelle s'il est approprié à la réalisation de fins déterminées, sous réserve des contraintes imposées par l'environnement. Il se traduira donc par des choix « orientés de l'intérieur » et « adaptés à l'extérieur ». La rationalité de la théorie économique est évidemment de ce type : elle présente des problèmes simples, susceptibles de recevoir une seule solution. Par exemple, dans un marché de concurrence parfaite, l'entrepreneur cherche le profit maximal : étant donné sa courbe de coût et sa courbe de demande, la rationalité réelle consiste à fixer le volume de la production au point qui correspond à l'intersection des deux courbes.
Ainsi la rationalité réelle en économie ne dépend pas de considérations psychologiques et suppose une information parfaite.
– En revanche, on parlera de rationalité « procédurale » lorsqu'un comportement est le résultat d'un processus de décision approprié.
En économie la rationalité de procédure est donc liée à la manière dont les informations sont acquises et intégrées à l'ensemble du processus. La théorie économique suppose que le décideur a, d'entrée de jeu, une information parfaite ; mais ce cas n'existe pratiquement pas. Le processus rationnel est donc celui qui intègre progessivement l'information acquise au processus de choix et permet ainsi d'arriver à une solution qui est parmi les meilleures possibles mais n'est plus nécessairement la solution optimale au regard de la rationalité « réelle ». L'information apparaît ainsi comme une ressource parmi d'autres et le résultat acquis est fonction de l'« effort consenti pour s'informer et de la technique de recherche ». C'est ce que L. Lévy-Garboua appelle l'« éco-rationalité ».
Un tel élargissement du concept de rationalité serait susceptible de montrer pourquoi le champ de l'explication économique a tendance à s'étendre à des domaines relevant jusque-là d'autres disciplines et à être appelé à fournir une analyse de phénomènes aussi différents que la criminalité, le mariage, la procréation, la vie politique, la recherche scientifique, etc. – et peut-être aussi pourquoi on la retrouve chez des auteurs aussi divers que Gary S. Becker (L'Approche économique du comportement humain), R. Boudon (La Logique du social) et P. Bourdieu (Le Sens pratique, Questions de sociologie). Chez ce dernier par exemple, la rationalité économique fonctionne comme un principe général d'économie des pratiques et comme une logique de l'action intentionnelle. Il est paradoxal de voir ainsi renverser la tradition de la sociologie, définie par Pareto comme la science des actions non logiques, et construite par Durkheim comme science des déterminismes sociaux qui encadrent et restreignent l'autonomie individuelle.
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Écrit par
- Hubert BROCHIER : professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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