RATIONALITÉ ÉCONOMIQUE
Rationalité d'agent et rationalité de système
La distinction entre rationalité d'un agent et rationalité du système pourrait sans doute éclairer quelque peu un débat parfois confus : la rationalité de l'agent se réfère à la manière dont celui-ci se comporte (ou doit se comporter) dans la poursuite des objectifs qu'il s'est fixés ; la rationalité du système conduit à poser des questions sur sa capacité à assurer un certain nombre de fins telles que croissance des moyens de production, élévation du niveau de vie, diminution des inégalités. Ces deux types de rationalité, l'une intentionnelle, l'autre non intentionnelle, correspondent à deux options épistémologiques fondamentales : la première situe l'interrogation scientifique au niveau du sujet (que ce soit l'individu, l'entreprise ou l'État) ; la seconde, qu'illustrent les structuralistes, consiste à accorder à la connaissance du système le primat méthodologique sur celle des acteurs. Ceux-ci apparaissent alors seulement comme produits et « supports de la structure » et non comme ce qui lui confère son sens.
La rationalité d'un système est nécessairement relative, elle ne se manifeste qu'à travers la comparaison des performances réalisées par des systèmes différents. Ainsi la notion de surplus, sur laquelle P. A. Baran et A. Sweezy fondent leur analyse de la rationalité comparée des systèmes capitaliste et socialiste, reste trop vague pour fournir un critère précis à la comparaison. On peut se demander en outre si ce vocabulaire est assez rigoureux et notamment si la notion de rationalité du système est assez clairement fondée. Comme cette rationalité est, par définition, non intentionnelle, elle ne réside que dans la cohérence interne des diverses instances qui la constituent. En d'autres termes, un système n'a pas de fins, sinon peut-être celle de se perpétuer. On peut donc admettre que tout système est « rationnel » tant qu'il se survit à lui-même, c'est-à-dire tant qu'il existe un degré de cohérence supportable entre les instances qui le composent (forces productives, rapports sociaux, idéologies, par exemple), ce qui n'empêche pas, à notre avis, de porter un jugement sur les objectifs qu'il réalise effectivement, même s'il est interdit de le faire en termes de plus ou moins grande rationalité.
Enfin, il reste à savoir comment s'établit la cohésion entre rationalité des agents et rationalité du système. Les analyses de Weber aussi bien que celles de Lange illustrent la corrélation entre le développement des conduites économiques rationnelles et la naissance du capitalisme. Dans cette optique, il est facile de montrer que la généralisation et l'approfondissement de la rationalité instrumentale des individus et des organisations ne sont que l'intériorisation des rapports sociaux caractéristiques des capitalismes contemporains, la conséquence de l'extension du « monde de la marchandise », etc.
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Écrit par
- Hubert BROCHIER : professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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