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HILBERG RAUL (1926-2007)

Une reconnaissance tardive

L'histoire de La Destruction des juifs d'Europe est indissolublement liée à celle de sa réception. Hilberg fut un pionnier solitaire. Il ne put publier une première édition de son travail qu'en 1961, quand le procès Eichmann, ce « Nuremberg du peuple juif » (David Ben Gourion) constitua le génocide des juifs en objet distinct de la Seconde Guerre mondiale et suscita un début d'intérêt de l'opinion publique. La notoriété, les traductions, les honneurs viennent dans les années 1980.

La Destruction des juifs d'Europe demeure l'ouvrage de référence sur la solution finale. Si d'autres historiens (Göt Aly, Omer Bartov...) et certains disciples de Hilberg comme Christopher Browning ont approfondi tel aspect, aucun ne s'est lancé dans une étude globale, aventure de toute une vie qui a produit une véritable somme. Certes, le schéma neumannien, dans sa rigidité, semble désormais réducteur, mais la somme d'informations que recèle l'œuvre de Hilberg reste inégalée. Elle est parfois utilisée comme un dictionnaire.

Malgré lui, Raul Hilberg a été entraîné dans la polémique suscitée par l'ouvrage d'Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal (1963 et 1966 pour la traduction française). La philosophe, dont l'expertise négative avait, en 1959, empêché que La Destruction fût publiée aux Presses universitaires de Princeton, s'est considérablement inspirée de Hilberg pour la rédaction de son ouvrage, tout en le caricaturant. Là où elle voit en Eichmann un bureaucrate insignifiant, Hilberg connaît l'ampleur de ce qu'il a accompli, les pistes qu'il découvrit « dans la jungle de l'appareil administratif allemand pour mener à bien ses agissements sans précédents. » Quand la philosophe accuse les conseils juifs de coopération dans la destruction, Hilberg montre que les dirigeants ne peuvent pas être isolés de l'ensemble des juifs et met leur comportement en relation avec les stratégies d'adaptation et d'ajustement qui avaient été les leurs au cours des persécutions antérieures. Ainsi ne met-il pas l'accent sur la Résistance juive, comme le fait à l'époque Yad Vashem, l'institution israélienne chargée de l'histoire et de la mémoire de la Shoah, qui refusa longtemps de publier La Destruction en hébreu ; la décision de la traduction a finalement été prise en 2004 et l'ouvrage doit paraître en 2008.

En 1994 (1996 pour la traduction française), Raul Hilberg publie ses souvenirs, La Politique de la mémoire, un petit livre poignant dans lequel il retrace son itinéraire, ses difficultés, l'incompréhension dont il s'estime victime. Peu ont perçu la perplexité, la colère et l'amertume qui furent les siennes. Il appartient, note l'historien H. G. Adler, à « une génération accusatrice et critique non seulement envers les Allemands [...] mais envers les juifs aussi, et toutes les nations qui se contentaient de regarder. À la fin il ne reste rien, sinon le désespoir et le doute à propos de tout. » Raul Hilberg est mort à son domicile du Vermont le 4 août 2007.

— Annette WIEVIORKA

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Écrit par

  • : directrice de recherche émérite au C.N.R.S., U.M.R. identités, relations internationales et civilisations de l'Europe, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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