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RUIZ RAÚL (1941-2011)

Cinéaste et homme de théâtre né à Puerto Montt (Chili) le 25 juillet 1941, Raúl Ruiz (dont le prénom s'est francisé en Raoul) étudie la théologie et le droit avant de s'initier au cinéma en Argentine. Dès son adolescence, il compose une centaine de pièces de théâtre avant de travailler plusieurs années au Mexique à réécrire des séries pour la télévision. Après divers courts-métrages, il réalise au Chili son premier long-métrage, Los Très Tristes Tigres (Trois Tristes Tigres, 1968). Il se distingue d'emblée par son rejet du réalisme documentaire et son goût pour les jeux du langage. Après l'accession au pouvoir de l'Unité populaire, il se voit interdire La Expropriaçión (L'Expropriation, 1972), qu'il achève en France, après la chute d'Allende.

Responsable du cinéma au sein du Parti socialiste du président, il a refusé le rôle de l'« artiste militant » (« qui n'est ni un bon artiste ni un bon militant »). En exil après le coup d'État du 11 septembre 1973, il rejette celui de « réfugié », ironisant, dans Dialogues d'exilés (1974), sur les Chiliens de Paris qui tentent de revivre leur situation et leurs coutumes. Il choisit d'accepter les normes culturelles imposées et tous les travaux de commande, quitte à les détourner. Sa filmographie réelle précédera toujours sa filmographie écrite de quelques titres ou projets. Ruiz tourne tout – courts ou longs-métrages, documentaires, jeux, fictions, théâtre filmé (Mammame, 1985) – et pour tout organisme (surtout institutionnel), cinéma, télévision, ministères, festivals, particulièrement maisons de la culture (il a travaillé avec celle de Grenoble et dirigé celle du Havre).

La situation de l'exilé se retrouve pourtant en creux dans l'aspect atypique du cinéma ruizien, difficilement assimilable à la mentalité d'un pays cartésien. Son inspiration multiforme relève d'une pluriculturalité pratiquement illimitée. Il adapte ou emprunte aussi bien à Borges, Pavese, Kafka, Adamov, Klossowski, Des Forêts, Stevenson, Shakespeare, Racine ou Proust qu'aux feuilletons et mélodrames latino-américains. Les films de Ruiz produisent un double effet de fascination par leur étrangeté et de répulsion par leur inadéquation aux schémas narratifs et visuels dominants. C'est le statut même de l'image qui est en jeu, aux antipodes du « réalisme ontologique » tel que le définissait André Bazin dans les années 1940 et 1950. « L'essentiel de ma démarche est d'aller contre l'excès de concret du cinéma. » Pour Ruiz, l'image d'un arbre renvoie bien, comme pour Bazin, à un arbre réel, mais aussi à tous les arbres peints, photographiés et filmés auparavant, qui conditionnent notre façon de voir (un arbre) et de regarder (un film) : « Tout a déjà été filmé quelque part avant même l'invention du cinéma. »

Cette conception de l'image comme simulacre et de la narration désancrée de toute référence au réel produit un univers inversé ou perverti dans ses fondements logiques, voire métaphysiques ou religieux. Le cinéaste est l'expérimentateur de toutes les variations formelles possibles : récit, personnages, situations, mouvements, couleurs, raccords, objectifs, filtres, etc. Ce foisonnement n'est pas sans scories, pouvant aller jusqu'à l'illisibilité (le troisième épisode du Borgne, 1980). Mais des films tels que La Vocation suspendue (1977), L'Hypothèse du tableau volé (1978), Le Territoire (1981), Les Trois Couronnes du matelot (1982), La Ville des pirates (1983), Les Destins de Manoel (1985), L'Île au trésor (1986) ou encore La Chouette aveugle (1987) suffisent à justifier une démarche qui fait éclater les traditionnelles oppositions entre vérité et mensonge (Lumière et Méliès), en faveur d'un « troisième cinéma », non[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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