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ARON RAYMOND (1905-1983)

L'observation de la politique contemporaine

On taxera volontiers l'œuvre d'une certaine disparate. Elle se limite à l'apparence de surface. L'unité d'inspiration, la continuité sont telles qu'on doit se méfier de toute périodisation accentuée, même si elle semble avoir reçu l'aval du penseur (cf. « Ma carrière. Note du 6 janvier 1983 », in Commentaire, no cit., pp. 517-519). Du pluralisme initial sortent, par un mouvement naturel, les deux articles de guerre sur les religions séculières. Bien sûr, ni le rationalisme prétendu du marxisme-léninisme ni l'irrationalisme claironnant du nazisme ne sont épargnés. Mais le plus grand reproche qui leur est adressé est d'engendrer une dogmatique exclusive, de définir un type d'homme unique, en dehors duquel il n'y aurait pas d'humanité, bref de figer les rapports vivants des sujets ou des agents séparés dans une forme préfabriquée, au nom d'un modèle idéologique. Le reproche de violence ne leur est pas épargné, mais il vient en second : la violence faite à la spontanéité sociale explique et produit les violences contre les personnes. Ce n'est pas pour rien que le premier des recueils d'articles publiés dans La France libre s'appelle L'Homme contre les tyrans (New York, 1944 ; Paris, 1945).

De là découle une double série d'ouvrages. Les uns montrent un observateur qui s'efforce, en s'appuyant sur une très précise information sociologique, économique, stratégique, politique, d'analyser les faits sans cacher le choix qu'il fait sans parti pris. Ces travaux peuvent atteindre un assez haut niveau de généralité, comme Le Grand Schisme (Paris, 1948), qui étudie la coupure de la planète en deux zones idéologiques avec option libérale. Les autres abordent des questions très proches de nous autres Français ; Raymond Aron ne craint pas d'y adopter des conclusions très peu compréhensibles, au moment où il les énonce, pour ses lecteurs habituels. Ainsi, dans La Tragédie algérienne (Paris, 1957) et dans L'Algérie et la République (Paris, 1958), il défend la thèse de l'indépendance algérienne, au risque de déplaire aux clients du Figaro, mais sans acquérir de sympathies à gauche puisqu'il élimine les motivations de la belle conscience pour s'en tenir à des arguments politiques. En deçà des allégations, on trouvera facilement une raison initiale : mieux vaut en face de soi un interlocuteur qu'un dominé. Elle est propre au libéral-pluralisme.

Après l'avènement de la Ve République, Raymond Aron, tout ancien membre du R.P.F. qu'il était, marqua ses distances. Il défendit le général de Gaulle contre des attaques passionnées et calomnieuses ; le journaliste consentit au régime un soutien parcimonieux qui, attribué plus à un jugement hautain qu'à la hauteur de vues, fut, paraît-il, mal reçu. Peut-être trouverait-on une intention ironique dans Immuable et changeante, de la IVe à la Ve République (Paris, 1959). On ne manquera pas de relever les réserves de De Gaulle, Israël et les Juifs (Paris, 1968). Mais presque en même temps avait paru La Révolution introuvable, plus tard déclaré par son auteur un « livre d'humeur » (le ton y est fort vif), où le « Vive de Gaulle ! » du 30 mai s'entend encore. L'intérêt pour la politique française ne se relâchera pas, Aron jugeant archaïques les positions économiques du Parti socialiste et craignant qu'il ne soit conduit par système à des décisions illibérales (Les Élections de mars et la Ve République, Paris, 1978). On estimera plus importantes peut-être les études de politique mondiale, quelquefois très générales (Le Grand Débat, initiation à la stratégie atomique, Paris, 1963 ; Essai sur les libertés, Paris, 1965 et 1977 ; Les Désillusions du progrès, Paris,[...]

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