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BRUCKBERGER RAYMOND (1907-1998)

Moine libertin, agitateur d'idées à travers trois films, une revue littéraire et vingt-cinq livres, le père Bruckberger a traversé le siècle en pamphlétaire. S'il fut élu, en 1985, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, au fauteuil de Raymond Aron, ce dominicain avait su, quand l'Église institutionnelle se reconnaissait dans l'État français de Vichy, devenir résistant et de facto l'aumônier des Forces françaises de l'intérieur ; il proclamait : « La France a été perdue par les enfants sages et sauvée par les enfants terribles ».

Né de père autrichien et de mère auvergnate à Murat, dans le Cantal, le 10 avril 1907, Raymond Léopold Bruckberger choisit la nationalité française à vingt ans et entre dans l'ordre des Dominicains en 1929 ; il s'y sent comme dans une armée, la « chevalerie de la Vérité ». Secrétaire de la Revue thomiste en 1938, il est salué par Georges Bernanos comme un « jeune moine prédestiné au cœur d'enfant et de poète ».

Engagé dans les chasseurs alpins, il voit dans la guerre une « grande expérience humaine où l'homme se révèle jusqu'au fond et comprend que la patrie n'est pas un théorème ». Sous l'Occupation, il déplore que les catholiques ne résistent pas tous au nazisme, puisque le pape l'a condamné ; il regrette surtout que l'épiscopat français ait légitimé le régime de Vichy et laissé les catholiques de la Résistance dans « une solitude atroce ». Il fut donc sans état d'âme pour aider à faire interdire au cardinal Suhard de paraître dans la cathédrale Notre-Dame de Paris lors du Magnificat qui y fut chanté, en présence du général de Gaulle, le 26 août 1944.

Même s'il vit en Vichy « le pire des désordres, le désordre des consciences, invisible peut-être, mais qui pourrit peu à peu l'âme et le destin d'un peuple », c'est en ancien camarade des Corps francs où, en 1940, il lui avait paru « un vrai chef » que le père Bruckberger décida d'accompagner jusqu'au poteau d'exécution le fondateur de la Milice française, Joseph Darnand, secrétaire d'État au Maintien de l'ordre à Vichy en 1944. Il défendit plus tard « la bienfaisance sacrée de la peine de mort » où il voyait le « dernier hommage que la société rend à un condamné qui n'a pas perdu toute dignité ». Son avant-dernier livre s'intitula d'ailleurs Oui à la peine de mort (1986).

Si, en 1940, le père Bruckberger avait rêvé d'écrire « des études sur les vertus morales, par exemple sur la force, sur l'obéissance, sur la chasteté » et si, en 1943, il avait assisté Robert Bresson pour le film Les Anges du péché, il renonça à la discrète vertu de prudence pour participer à la vie du Tout-Paris littéraire. Fondateur de la revue Le cheval de Troie qu'il publie en 1947-1948 pour s'opposer au jésuitisme de l'Église de France, il est un prêtre mondain entouré de jeunes femmes que, chez Gallimard, on surnomme les « Bruckbergères ».

Aumônier de la Légion étrangère, il séjourne ensuite en Afrique du Nord, puis huit ans aux États-Unis et quatre ans en Grèce, avant de choisir pour retraite un village suisse du canton de Vaud où il vit de 1962 à sa mort le 4 janvier 1998. Toutefois, « Bruck » ne se veut pas ermite. Compagnon successif de trois femmes, il est cinéaste en 1960, pour Le Dialogue des carmélites (avec Philippe Agostini) puis, en 1967, pour un film sur la libération de la France, Tu moissonneras la tempête. Il donne aussi des articles à Life, au New York Times puis à L'Aurore et au Figaro-Magazine.

En réponses indirectes aux accusations de Bernanos d'avoir trahi le jeune moine qu'il avait été – « vos relations, vos intrigues, entourloupettes et pirouettes ne vous sauveront pas de sa colère » –, celui qu'Henri[...]

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Écrit par

  • : docteur en études politiques et en histoire, ancien délégué-adjoint aux célébrations nationales (ministère de la Culture et de la Communication)

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