BUSSIÈRES RAYMOND (1907-1982)
Sans la présence de Raymond Bussières – dit Bubu – dans quelque cent trente films, le cinéma français aurait probablement un visage différent. Affirmation paradoxale pour parler d'un comédien qui ne joua, dans sa carrière, que les rôles dits de composition ou de second plan. À peine ! Au même titre que Carette, Jean Tissier, Pierre Larquey ou Saturnin Fabre – pour ne citer que les plus fameux – Raymond Bussières faisait partie de ces comédiens irremplaçables, capables de jouer tous les personnages, dans un registre allant de l'humour à l'émotion. Il sut donner une touche d'authenticité à bien des films de série, les empêchant ainsi de sombrer dans l'oubli.
Livré à lui-même, Bussières se contentait d'être excellent... Dirigé par Clouzot (L'assassin habite au 21, 1941 ; Quai des Orfèvres, 1947), Carné (Les Portes de la nuit, 1946), Becker (Casque d'Or, 1952), Cayatte (Justice est faite, 1950) ou René Clair (Les Belles de Nuit, 1953 ; Porte des Lilas, 1957), il a prouvé qu'il valait beaucoup mieux que l'image stéréotypée – le « prolo » des boulevards, au verbe haut, à la casquette vissée sur le crâne et à la cigarette inamovible – dans laquelle des réalisateurs sans imagination l'avaient catalogué une fois pour toutes. Il est vrai – bien sûr – qu'il incarnait à merveille, au cinéma comme dans la vie, le « titi » parisien, lui qui était né à Ivry-la-Bataille, dans l'Eure !
Rien ne destinait Raymond Bussières au cinéma et au théâtre. Après le baccalauréat, il devient dessinateur topographe à la préfecture de la Seine, emploi qu'il conservera jusqu'en 1941. Sa rencontre avec Jacques et Pierre Prévert sera déterminante. « J'avais vingt ans quand la révolution russe en avait dix et que j'ai rencontré Prévert. C'est lui qui m'en a parlé comme il le fallait et qui m'a fait basculer à gauche », dira Bussières. En plein Front populaire, le futur Bubu découvre le théâtre, en amateur, avec le groupe Octobre, dont il est un des fondateurs, avec les Prévert, Marcel Duhamel, Paul Grimault, Jean-Paul Le Chanois, Yves Allégret, J. B. Brunius, Maurice Baquet... Dans le cabaret d'Agnès Capri, Bussières dira des poèmes de Prévert.
C'est un ami qui le présente à Louis Daquin, qui recherche pour son film Nous les Gosses (1941) un « voyou de banlieue ». Bussières fait l'affaire, et son succès auprès du public est immédiat. C'est sur scène, en 1942, en interprétant Une femme qu'a le cœur trop petit de Crommelynck, que Bussières rencontre Annette Poivre, qu'il épousera trois ans après. Le couple Bussières-Poivre incarne alors le ménage populaire, sympathique et gouailleur, tel que le conçoit une certaine imagerie naïve. Cette réputation dépassera les frontières. Pour les cinéastes étrangers – américain en particulier –, Bubu sera le Français « typique », bourru et râleur, comme dans Deux Têtes folles de Richard Quine en 1962.
La Nouvelle Vague devait porter un mauvais coup à la carrière de Raymond Bussières. « J'ai eu longtemps, au cinéma, un emploi attitré : le copain du rôle principal », disait-il avec humour. « Maintenant, les vedettes n'ont plus de copain dans les films. Elles ont trop de problèmes personnels. » Par la suite, de nombreux jeunes réalisateurs n'en feront pas moins appel à l'irremplaçable Bubu : Alain Tanner pour Jonas (1976), Christian de Chalonge pour L'Argent des autres (1978), ou encore Juliet Berto (Neige, 1981) et Peter del Monte (Invitation au voyage, 1982).
Scénariste de certains films dans lesquels il jouait (Le Costaud des Batignolles, 1952 ; Quai du Point du jour, 1960), Raymond Bussières – qui avouait ne pas tellement aimer faire rire – aura attendu en vain, toute sa carrière, un grand rôle dramatique. Il[...]
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Écrit par
- Robert de LAROCHE : journaliste à Radio-Monte-Carlo
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