CHIRAT RAYMOND (1922-2015)
On a du mal à apposer à la personne de Raymond Chirat l’étiquette d’historien du cinéma français. Non qu’il ne la méritât pas : sa compétence, la précision de ses informations, son goût de l’exhaustivité étaient des plus rares. Mais il faut ajouter que cette activité paraissait être chez lui le prolongement naturel d’une cinéphilie enthousiaste et chaleureuse, tournée vers le partage des trouvailles et des informations. Point de jugement péremptoire ni de prétention critique chez lui, mais plutôt une science ludique, complice, aux antipodes de certains réflexes d’exclusion ou de hiérarchisation qui, parfois, tiennent lieu de rigueur scientifique.
Né à Lyon le 22 juillet 1922, fondateur dans cette même ville de la bibliothèque de l’institut Lumière qui porte maintenant son nom, Raymond Chirat possédait le feu sacré des amateurs et un don incomparable pour le communiquer, comme on le voit avec les portraits d’acteurs qu’il donna à l’Encyclopædia Universalis. Son vertigineux Cataloguedes films français de long-métrage, dans la présentation austère et sans illustrations des premières éditions, enflammait l’imagination. Ses fiches de générique minutieusement reconstituées et qui, avec une délicieuse galanterie surannée, séparaient à la rubrique interprétation les dames et les messieurs, enclenchaient l’imaginaire ; mais ce sont les savoureux résumés et les compléments d’information, formulés dans la langue élégante qui était la sienne, qui emportaient définitivement le morceau. N’ayons pas peur d’être un peu proustien : les éditions modestes, minimalistes de ses recherches, qu’il eut du mal à faire publier en France et qui durent leur existence à des institutions étrangères comme la Cinémathèque royale de Belgique, la Cinémathèque municipale du Luxembourg ou la Cinémathèque de Lausanne, conservent aux yeux de ceux qui ont connu l’homme infiniment plus de charme et de capacité de rêve que les versions plus luxueuses éditées par la suite.
Parallèlement à cette œuvre monumentale et indispensable, Raymond Chirat consacra des plaquettes confidentielles à Julien Duvivier, Henri Decoin, Christian-Jaque… Tout le cinéma « du sam’di soir », celui des « quinze ans d’années 1930 » (1930-1945), selon l’heureuse formule de Jean-Pierre Jeancolas. Souvent avec son jeune complice Olivier Barrot, il rendit hommage à la théâtralité bouffonne et aux acteurs insolites et précieux qui, autant que les grands cinéastes, firent le cinéma français : cela allait de Jouvet (Salut à Louis Jouvet, 2002) à Guitry (Sacha Guitry, l’homme orchestre, 2007), en passant par Marguerite Moreno (La Vie de Marguerite Moreno, 1871-1948, 2003), du Théâtre de boulevard (1998) à LaVie culturelle en France dans la France occupée (2007), sans oublier les deux cent cinquante portraits d’acteurs du cinéma français regroupés sous le titre de Noir et blanc (2000 ; réédité sous le titre Ciné-Club, 2010). Les Excentriques du cinéma français (toujours co-écrit avec Olivier Barrot, 1983), réunissent comme un florilège tous ces noms disparus. Il regroupe ainsi, sous l’intitulé « Les petites Marguerite », la décharnée Marguerite Pierry, Marguerite Deval au minois de pékinois et l’imposante Marguerite Moreno, etc.
Raymond Chirat pratiquait l’histoire du cinéma en poète. Cela provoqua la condescendance de certains. Pourtant, à la lumière du travail accompli, nous savons qu’aborder ainsi l’histoire du cinéma est sans doute la seule manière de la faire vivre et progresser.
Raymond Chirat est mort à Lyon le 26 août 2015.
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Écrit par
- Christian VIVIANI
: historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue
Positif
Classification
Autres références
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- Écrit par Philippe ROUYER
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- 2 médias
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