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DEVOS RAYMOND (1922-2006)

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Raymond Devos était l'alchimiste du verbe, le magicien des mots, tout à la fois comédien, jongleur, rêveur, funambule, clown poète, maître en calembours, « amuseur » comme il se présentait lui-même. Se jouant des coq-à-l'âne et des paradoxes, il tenait les spectateurs en haleine au fil de monologues imaginaires pour les ramener dans le réel, au terme d'une lutte où on le voyait se battre seul avec lui-même, amusé, effaré, dédoublé.

Né le 9 novembre 1922, à Mouscron, en Belgique, Raymond Devos connaît un début d'enfance heureuse. Ses parents, français, s'installent à Roubaix, puis à Tourcoing avec ses six frères et sœurs. Sa mère joue du violon, son père, expert-comptable et doux homme, est lui aussi musicien : il joue du piano et tient l'orgue à l'église. Très vite, Raymond Devos est attiré par le spectacle. Mais son père, lancé dans le commerce de la laine, fait faillite et disparaît. À treize ans, Raymond Devos abandonne l'école et doit travailler pour vivre. Tour à tour libraire, livreur, crémier, il n'en continue pas moins à rêver de théâtre. Envoyé en Allemagne au titre du S.T.O., il s'évade en 1944, puis, après la Libération revient à ses premières amours. À Paris, c'est le triomphe des petits théâtres et des cabarets. En province commence l'aventure de la décentralisation. Raymond Devos sillonne la Savoie avec une compagnie itinérante. De retour à Paris, il s'inscrit au cours de Tania Balachova, au Vieux-Colombier, se forme au mime chez Etienne Decroux, fait ses premiers pas dans les variétés avec « Les Trois Cousins » – un trio qui finira en duo –, passe à l'ABC et aux Trois-Baudets. En 1953, il rejoint la compagnie Jacques Fabbri. Il y restera jusqu'à ce qu'advienne la mythique rencontre avec le serveur d'un restaurant. C'était en 1956, à Biarritz, avec toute la troupe en tournée. Au garçon qui lui demande : « Vous voulez quoi ? », Devos répond « Je voudrais voir la mer ». L'autre rétorque « Vous pouvez pas, elle est démontée ». La réplique arrive : « Vous la remontez quand ? ».

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Très vite l'épisode de Biarritz donne naissance à un premier sketch, « La mer démontée ». Des centaines d'autres vont suivre. Désormais, Raymond Devos ne sera plus interprète des textes des autres mais comédien de soi-même, imposant son univers et sa propre langue, qu'il cisèle au fil de spectacles collectifs ou de numéros de cabarets, avant de se présenter seul sur le plateau, à partir du milieu des années 1970.

Autodidacte, il s'est formé par la lecture : les « classiques » (Molière, Racine), mais aussi des philosophes comme Michel Serres ou Gaston Bachelard. Il s'est nourri de Marcel Aymé, « le plus grand auteur comique ». Il s'est lié à Brassens. Surtout, il a dévoré tous les ouvrages traitant de la mécanique du rire. Son rêve : non pas un rire démagogique, condescendant, tout en vannes et en phrases méchantes, comme il regrettera de trop en découvrir sur les plateaux de théâtre ou de la télévision, mais un rire qui serait celui de la condition humaine, capable de témoigner de la folie du monde et des choses, et reposant d'abord sur le quotidien, le banal qui dérape. Un rire, enfin, qui servirait d'antidote à nos peurs, nos gênes, et à la mort.

Est-ce le souvenir de sa découverte du clown Pipo lorsque son père l'emmenait au cirque, enfant ? Dans ses spectacles, les arts de la piste allaient prendre une part de plus en plus grande, de même que la musique – il jouait du piano, du concertina, du tambour, de la scie musicale, de la harpe, apprise à l'âge de quarante-cinq ans, et de la flûte. « Le comique est une dégradation, précisait-il le 12 janvier 1994, dans Libération. Alors, quand on dégrade les choses, il faut toujours les revaloriser. C'est la leçon des clowns. Ils ont des pantalons qui dégoulinent, ils s'abaissent et alors ils disent : „On va faire un peu de musique, monsieur“. Et là le clown joue merveilleusement, il se rachète. Le contrepoint, le contrepoids du comique, c'est la musique. J'allais dire l'harmonie. »

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Homme de scène, Raymond Devos fusionne en une même énergie les jeux de la parole et du corps. Vêtu de son éternel costume bleu, et peu importe sa corpulence ; lui qui fit, jadis, du trampoline, semble aérien. Mais le contact direct avec le public demeure essentiel, au point que ses incursions dans le cinéma resteront sans lendemain. Si Jean-Luc Godard, en 1965, lui demande de reprendre dans Pierrot le Fou son sketch sur les amours malheureuses, le film La Raison du plus fou réalisé par François Reichenbach en 1972 est un échec.

Au début des années 2000, la santé de Raymond Devos lui interdit de revenir sur scène. Il se tourne alors vers le roman : Les 40èmes délirants (2002), Sans titre de noblesse (2005), écrit également Une chenille pour Vanessa (2003), un livre pour enfants illustré par Yves Saint-Laurent. On lui doit des chansons. Il en a chanté aussi, comme « Les Clowns » composé à son intention par Giani Esposito en 1957 : « Ouvrez donc les lumières / puisque le clown est mort / Ouvrez donc les lumières / puisque le clown est mort / et vous applaudissez / admirez son effort / et vous applaudissez / admirez son effort. »

— Didier MÉREUZE

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

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