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LULLE RAYMOND (1233 env.-1316)

Sources multiples du lullisme

Il est particulièrement difficile d'analyser les sources précises d'une pensée aussi originale que celle de Lulle. Toutefois, on peut la rattacher légitimement à la tradition augustiniano-anselmienne, et il est indéniable que, par des chemins qui restent à défricher, Boèce et Denys l'Aréopagite marquent à leur tour cette pensée. Plus près historiquement, c'est aux victorins, et notamment à Richard, que Lulle doit l'inspiration de son trinitarisme. Il connaît aussi le Liber sententiarum de Pierre Lombard et, parmi les Arabes, al-Ghazālī, dont il traduit la logique, Avicenne et, surtout, Averroès qu'il combat avec beaucoup de zèle. Il emprunte à la littérature soufie la forme particulière du Livre de l'ami et de l'aimé ; et c'est pour montrer aux Arabes que le centième nom de Dieu n'est en rien supérieur aux quatre-vingt-dix-neuf autres qu'il écrit Les Cent Noms de Dieu. Il montre dans Le Livre du gentil et des trois sages qu'il connaît assez les différents courants de pensée qui s'affrontent, en son temps, au sein du judaïsme, d'une part, de l'islamisme, d'autre part. Mais, en autodidacte formé loin des grands centres intellectuels de l'époque, il profite de tout et, si la forme de sa pensée est décidément moderne, il apparaît, par son enracinement didactique, comme un « ancien ». L'influence de la culture arabe sur Lulle est indéniable, mais on ne peut accepter la thèse de l'arabisation radicale du penseur catalan ; pas davantage celle qui relie à Bonaventure, voire à Bernard de Clairvaux, la mystique lullienne. Le débat reste ouvert, selon certains, quant à l'influence sur celle-ci de Jean Scot. Dans l'état actuel des recherches, il faut retenir, pour expliquer cette curieuse pensée, les noms et les courants mentionnés ; mais surtout, d'une façon moins formelle et combien plus frappante, la confluence des trois cultures dans la Majorque du xiiie siècle et l'arrivée en Catalogne et aux Baléares du courant littéraire et culturel occitan qui, refoulé hors de son lieu naturel par la lutte des papes et des rois de France contre le Midi, se repliait à l'ombre des maisons royales de Barcelone et de Palma. Les rimes de Raymond Lulle sont provençales, provençaux les modèles de sa langue, provençales encore les images et les conventions de son langage mystique.

Lulle mort, les cénacles du lullisme ne tardèrent pas à se former. Et si toute une lignée de pseudo-Lulles manipula l'Ars et transforma son auteur en astrologue ou en distillateur d'élixirs de jouvence, le lullisme féconda généreusement la renaissance italienne et française. Giordano Bruno et Pic de La Mirandole, d'un côté, Lefèvre d'Étaples et Raymond de Sebonde, de l'autre, pour ne citer que ceux-là, l'utilisent, le commentent et l'expliquent. Mais c'est en Allemagne – avec Nicolas de Cues, qui étudie à fond l'œuvre de Lulle dont la sienne est profondément marquée ; beaucoup plus tard, avec Leibniz, dont l'admiration pour la combinatoire est bien connue ; avec, enfin, la grande édition mayencienne de nombreux traités de Lulle – que cette pensée originale a franchi le cap de la Renaissance et intéressé la philosophie moderne.

— Louis SALA-MOLINS

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  • : professeur émérite de philosophie politique, universités de Paris-I et de Toulouse-II

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