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MASON RAYMOND (1922-2010)

Raymond Mason, sculpteur « anglo-français » selon le terme qu'il revendiquait, fut un des plus obstinés promeneurs de Paris, ville où il s'était installé en 1946, après des études de peinture dans sa ville natale de Birmingham, puis au Royal College of Art au Slade School of Fine Art de Londres. Dans l'effervescence de la Libération, il y rencontra notamment deux maîtres exigeants, Giacometti et Balthus, qu'il fréquenta longuement. Se plaçant dans leur rayonnement, Mason avait aussi conscience de s'inscrire dans la tradition figurative et narrative de l'art anglais, de Hogarth à Francis Bacon, en refusant le « non-sens et la non-communication de l'art abstrait ».

Deux thèmes principaux dominent son œuvre peint, dessiné ou sculpté, les paysages et l'être humain. Les premiers sont souvent traités en bas-reliefs vigoureusement colorés, qu'ils soient urbains – Rome, Paris, Manhattan – ou campagnards – la série des Montagnes du Lubéron, commencée dès 1962. Quant aux êtres humains, ce sont des passants ordinaires avec leurs gestes quotidiens, des héros anonymes du xxe siècle saisis dans leur singularité. À la différence de Giacometti, Mason ne représente jamais la solitude essentielle de l'homme, mais la foule des métropoles contemporaines, « l'homme multiplié. Moi-même semblable aux autres, me répétant à l'infini, dans le mouvement [de la ville] ». Préparé par de nombreux dessins qui remontent à 1960, le grand plâtre La Foule est présenté à Paris dès 1968, puis installé en bronze, au Jardin des Tuileries en 1986. La force épique de cette composition monumentale tient à l'expressivité de chaque personnage. Réalisée en 1979-1980, Une foule illuminée – installée à Montréal en 1986 – est la continuation monumentalisée de cette première composition. Soixante-cinq personnages y sont figurés grandeur nature, en train de découvrir une réalité hors champ qu'on imagine d'après les réactions qu'elle suscite. « Illuminés par un spectacle, un incendie ou un idéal, les personnages, explique l'artiste, sont éclairés horizontalement de face. La lumière se perd progressivement dans la foule et, là où elle diminue, le sentiment se dégrade. [...] Illumination, espoir, intérêt, hilarité, irritation, peur maladie, violence, meurtre et mort. Ces degrés de l'émotion scandent le déroulement de l'espace. » Sculpteur de la variété des passions humaines, Mason a aussi su inventer, en utilisant la résine époxyde soigneusement polychromée, une forme contemporaine de la « sculpture d'histoire » avec Une tragédie dans le nord. L'hiver, la pluie, les larmes (1975-1977), présentée à la Biennale de Venise en 1982 et installée en 2008 dans l'église de Liévin (Pas-de-Calais). La catastrophe minière de Liévin, à Noël 1974, a inspiré cette moderne « mise au tombeau » dans laquelle se lisent les émotions humaines face à la mort, du dégoût à l'abattement, du désespoir à la révolte. « Pour moi l'importance de la sculpture n'est pas en elle-même mais dans ce qu'elle exprime », affirmait Raymond Mason. Ce refus du formalisme et ce souci de toucher le public expliquent sans doute le malentendu durable qui s'était installé entre Raymond Mason et certaines figures bien pensantes de l'art contemporain. Exposé au Centre Georges-Pompidou à Paris dans une remarquable rétrospective organisée par Jean Clair en 1985, défendu par Yves Bonnefoy ou Michael Edwards, Mason vivait malgré sa notoriété nationale et internationale dans un relatif isolement, qu'atteste son absence de bien des manifestations officielles de sculptures.

Par son attachement irréductible à l'histoire de son temps comme par son caractère intempestif et singulier, Raymond Mason n'en appartient pas moins pleinement au [...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII

Classification

Autres références

  • RÉALISME RETOUR AU

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    • 5 157 mots
    • 5 médias
    L'héritage de Giacometti s'exprime avec le plus d'évidence dans l'œuvre d'un autre sculpteur, Raymond Mason (1922-2010), et dans celle du peintre Sam Szafran (1934-2019) ; le premier reprend de Giacometti les scènes urbaines, les personnages en proie au vertige de l'espace et, de là, monte un théâtre...