QUENEAU RAYMOND (1903-1976)
Une morale
Malgré la méfiance que professait Raymond Queneau à l'égard des faiseurs de systèmes et le peu d'empressement qu'il mettait à donner des leçons, il est clair que l'on peut distinguer, dans son œuvre, l'ombre d'une morale : c'est là le propre de tout univers cohérent, qu'il soit réel ou imaginaire. Cette morale, assez curieusement, ne coïncide pas tout à fait avec celle de la société des hommes. Cet écrivain réaliste ne restitue pas le monde tel qu'il est : il le corrige. Mais, comme il le corrige par de simples (quoique pas innocentes) omissions, ce qu'il nous en montre nous paraît parfaitement authentique.
Par exemple, il n'y a pas un seul salaud dans cette œuvre qui fait vivre pourtant des centaines de personnages – en réalité, il y en a un : Bébé Toutout, le gnome diabolique du Chiendent ; et ce n'est pas exactement un homme.
Je crois qu'il faut faire ici la part de la malice : Queneau choisit, parce que c'est plus agréable, de ne parler que des gens sympathiques, de ceux qu'il aurait du plaisir à fréquenter. Il fait même un instant semblant de croire aux rossignols humanistes, et que tous les hommes sont de bonne volonté. Mais il laisse traîner, ici ou là, un signe révélateur, un indice de sa fausse naïveté.
Le mot « malice » est préférable au mot « humour », et pas seulement parce que, de celui-ci, on use à tort et à travers. L'humour est plein de replis ombreux, d'âcres touffeurs et de ricanements que l'on ne découvre jamais au fond des choses, chez Queneau. C'est peut-être à son ascendance campagnarde qu'il doit cela : les paysans, même les plus rusés, sont doués d'une trop bonne humeur pour avoir de l'humour ! La malice, en revanche, convient tout à fait à leur façon de voir, de comprendre et de raconter les choses. Enfin, si l'on se posait sérieusement la question, on pourrait se reporter à l'article « L'Humour et ses victimes », publié en 1938 dans Volontés, et repris, trente-cinq ans plus tard, dans Le Voyage en Grèce. Il ne résout pas le problème : il jette le lecteur de bonne foi dans une saine perplexité, ce qui est bien préférable.
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Écrit par
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