ROUSSEL RAYMOND (1877-1933)
Raymond Roussel est ce qu'on appelle un auteur “difficile”. Délibérément ou non, il heurte les habitudes de lecture et les idées reçues concernant la littérature. Il est alors tentant de réduire cette œuvre considérable à quelques formules simples, de voir en lui un “excentrique”, un “dandy”, avec une implicite dévalorisation de son œuvre. Or Roussel fut d'abord, fut seulement un poète, un écrivain, et c'est comme tel qu'il convient de le lire, quelles que puissent être les bizarreries de son existence. Une fois accoutumé à sa concision maniaque, le lecteur de ces livres foisonnants découvre leur éclat poétique et leur puissance comique.
Sa place dans la littérature reste singulière : souvent revendiqué par les avant-gardes, Roussel est une figure marquante de la modernité, mais d'une modernité paradoxale qui baigne dans la convention, comme l'ont confirmé les inédits découverts en 1989 (La Seine ou Les Noces) parmi un vaste ensemble de manuscrits et de photographies, qui a considérablement renouvelé la connaissance de l'écrivain.
Une vie d'écrivain
Raymond Roussel est né le 20 janvier 1877 à Paris, dans une famille de la plus riche bourgeoisie. Son enfance est placée sous la coupe d'une mère autoritaire et excentrique. Après des études à Janson-de-Sailly, le jeune homme se consacre à la musique, étudiant piano et composition au Conservatoire. À vingt ans, en 1897, il publie son premier livre chez Alphonse Lemerre, à compte d 'auteur comme toute son œuvre : c'est un roman en vers, La Doublure, écrit dans une extrême exaltation, porté par ce qu'il nomma le sentiment de la “Gloire” éprouvé pendant la rédaction. Roussel y conte l 'histoire de Gaspard Lenoir, comédien voué à l'échec, éternelle “doublure” au théâtre et dans l'existence. Outre sa rédaction en alexandrins (mais le roman en vers n'est pas une rareté absolue à l'époque), La Doublure s'impose par une description du carnaval de Nice qui occupe les deux tiers du livre. Roussel fut si abattu par le peu de succès rencontré qu'il dut recevoir les soins du psychiatre Pierre Janet.
Son existence devint alors la double poursuite de bonheurs perdus : celui de l'enfance, celui de la gloire de l'écrivain. À cette époque, autour de 1900, il rédige un ensemble de brefs récits fondés sur des homophonies et baptisés plus tard Textes de grande jeunesse ou Textes-Genèse : ce mode de composition, qu'il nommeson procédé, sera au principe de “certains de ses livres”, comme le révélera un volume posthume. Mais Roussel ne semble pas encore savoir que faire de son procédé, et il explore d'autres voies, celles de vastes fresques unanimistes et tourbillonnantes : peu après 1900, il écrit La Seine, énorme drame en sept mille vers, peuplé de quatre cents personnages, puis, entre 1904 et 1906, Les Noces, massif encore plus vaste. S'il écrit ainsi abondamment entre 1897 et 1909, Roussel ne publie en tout qu'un bref conte, Chiquenaude, et trois poèmes descriptifs rassemblés dans La Vue (1904), patients recensements de réalités minuscules (telle l'étiquette illustrée d'une bouteille d'eau minérale) dont l'économie et le minimalisme sont aux antipodes des grandes fresques collectives de La Seine et des Noces.
La publication en 1910 des Impressions d'Afrique marque la maturité. Ce roman (en prose cette fois) lui vaut des admirateurs comme Edmond Rostand ou Robert de Montesquiou, séduits par la folie froide de ce “Gala des incomparables”, organisé par des naufragés européens à l'occasion des fêtes du couronnement de Talou VII, empereur du Ponukélé. L'année suivante, l'adaptation théâtrale de ces Impressions d'Afrique suscite un scandale dû à l'imagerie insolite qu'elle met en scène. La mort de sa mère, en[...]
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Écrit par
- Patrick BESNIER : professeur à l'université du Maine, Le Mans
Classification
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