REACH (Registration, Evaluation and Authorization of Chemicals)
Une lente prise de conscience
Une peur ancestrale
Les produits chimiques font peur. La Genèse décrit la destruction par Jéhovah des Villes de la Plaine, par « une pluie de soufre et de feu ». De tels événements imprévisibles sont d'autant plus redoutables que nous avons en partage une hantise de l'asphyxie.
De même, au Moyen Âge, l'antisémitisme prit régulièrement les Juifs comme boucs émissaires : on les tint pour responsables d'épidémies, on les accusa d'empoisonner les puits. Une eau de boisson contaminée est, en effet, une autre de nos légitimes phobies.
La crainte ancestrale des substances dangereuses a été ravivée au xxe siècle par des catastrophes industrielles, comme celles qui ont été rappelées. Le souvenir des gazés de la Première Guerre mondiale reste lui aussi vif ; tel ou tel épisode récent de guerre chimique – Saddam Hussein en fit même usage contre des civils en Irak – se charge de l'imprimer dans la mémoire collective.
Le règlement REACH de l'Union européenne s'inscrit dans cet arrière-plan de méfiance, voire de peur. S'y ajoute un contexte politique. Les mouvements de protection de l'environnement, les Verts, les militants des énergies alternatives, ceux du développement durable, d'une agriculture organique... forment une coalition favorable à une stricte surveillance de l'industrie chimique, pour l'empêcher de nuire à la santé des populations.
Pour revenir sur la guerre chimique, l'épisode du prix Nobel de chimie décerné à l'Allemand Fritz Haber (1868-1934) en 1918 est révélateur. Ce dernier fut distingué pour son invention du procédé Bosch-Haber de synthèse de l'ammoniac, servant à fabriquer les engrais azotés sans lesquels, aujourd'hui, la moitié de la population mondiale périrait de famine. Criminel de guerre pour les Alliés, Haber fut empêché de recevoir son prix à Stockholm. Il avait dirigé la production d'armes de guerre chimique dans son pays. Néanmoins, très objectivement, il fut un bienfaiteur de l'humanité, par les engrais chimiques. Ce chimiste hors pair fut mû également par son patriotisme. Ne doit-on pas incriminer ce dernier ?
Durant la guerre du Vietnam, des faits similaires se produisirent. Le chimiste américain Louis F. Fieser (1899-1977), qui avait inventé le napalm, en était si fier qu'il collectionnait les coupures de presse relatives à son utilisation. Le Tribunal Russell mit en accusation les États-Unis pour leur recours au napalm et à d'autres armes chimiques, telles que l'herbicide 2,4,5-T (ou acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique), qui meurtrirent cruellement les civils vietnamiens.
Une plus grande attention
L'accident de Seveso suscita, en 1982 seulement, une directive communautaire, dite directive Seveso pour l'identification des installations industrielles à risque (plus de 1 200 en France), et des mesures de prévention. À la suite de l'accident de Bâle, cette directive fut renforcée en 1996. Elle ne fit plus de distinction entre le stockage de substances dangereuses et leur implication dans un procédé. Elle s'appliqua aussi aux installations manipulant et stockant des explosifs.
Publié en 1996 aux États-Unis, le livre Our Stolen Future : Are We Threatening Our Own Fertility, Intelligence, and Survival ? A Scientific Detective Story, de Theo Colborn, John Peterson Myers et Dianne Dumanoski, fit florès. Il dénonçait les effets pernicieux, tant pour la santé humaine que pour d'autres espèces, de polluants aux structures voisines de celles d'hormones. On les nomme hormonomimétiques, ou encore EDC (endocrine disturbing chemicals). Historiquement parlant, le premier composé de ce type fut un médicament, le diéthylstilbestrol, aux effets œstrogènes, interdit dès le milieu du xxe siècle en raison de son action cancérigène, en particulier chez les[...]
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Écrit par
- Pierre LASZLO : professeur honoraire à l'École polytechnique et à l'université de Liège (Belgique)
Classification
Médias
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