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RÉALISME (art et littérature)

Littérature

Dans la tradition critique et la théorie littéraire, la question du réalisme a fini par coïncider avec celle d'un genre : le roman, qui tend lui-même à englober la littérature tout entière. Or la notion même de « roman réaliste » est antinomique. Par nature, le roman implique la fiction, l'invention de personnages et de situations imaginaires. Il implique aussi une construction, un ordre des faits, c'est-à-dire la négation du désordre et des aléas qui caractérisent la vie réelle, ou le réel de la vie. Comment peut-on alors se dire artiste et réaliste ?

La littérature comme reflet de la réalité

Pourtant, cette étiquette a fait fortune au xixe siècle, et encore au xxe. Les points de repère abondent. C'est Stendhal, définissant le roman comme un miroir que l'on promène le long d'une grande route. C'est Balzac, se donnant dans l'avant-propos à La Comédie humaine « un plan qui embrasse à la fois l'histoire et la critique de la Société, l'analyse de ses maux et la discussion de ses principes ». Ce sont les Goncourt, se demandant, dans la préface à Germinie Lacerteux, « si ce qu'on appelle les basses classes n'avait pas droit au roman ; si ce monde sous un monde, le peuple, devait rester sous le coup de l'interdit littéraire » : n'était-ce pas affirmer que la réalité, en l'occurrence un aspect essentiel de la réalité sociale, a des droits sur le roman, dans la mesure même où celui-ci est le genre par excellence qui trouve sa matière dans la mimèsis des êtres et des choses ? C'est Flaubert, aussi, écrivant à Louise Colet qu'il rêve d'une « littérature exposante ». C'est enfin Zola qui, à de multiples reprises, assène sa conception de l'œuvre d'art : « un coin de la nature vu à travers un tempérament ».

Et, puisque le mot « mimèsis » vient d'être écrit, rappelons qu'il s'agit là d'un des concepts qui, d'Aristote à Barthes en passant par Batteux, Lessing et Quatremère de Quincy, ont le plus obsédé la réflexion occidentale sur la littérature, et qu'un des plus grands livres d'histoire et de critique littéraire publiés au xxe siècle porte ce titre même : le Mimesis d'Eric Auerbach. Celui-ci y montre que la littérature occidentale, par-delà les frontières et les nationalités, s'est construite sur l'approfondissement constant d'un réalisme dont le trait principal est la prise au sérieux et la transposition dramatique de la vie du peuple.

Pour Sartre, « l'écrivain a choisi de dévoiler le monde et singulièrement l'homme aux autres hommes pour que ceux-ci prennent, en face de l'objet ainsi mis à nu, leur entière responsabilité » (Qu'est-ce que la littérature ?). Même discours dans la tradition marxiste ; de György Lukács, pour qui le grand romancier est celui qui fait apparaître concrètement les grandes forces régissant l'évolution sociale (Balzac et le réalisme français), à Lucien Goldmann, qui affirme – sur un exemple paradoxal – que Racine « a eu besoin, pour concevoir chacune de ses pièces, de rencontrer auparavant une expérience réelle correspondante dans les groupes sociaux auxquels son activité d'écrivain était le plus étroitement rattachée ». Et même si le nouveau roman a pris ses distances avec l'esthétique réaliste, on a pu, à propos de Robbe-Grillet, Michel Butor ou Claude Simon, parler d'une « école du regard » (R. Barthes). Nathalie Sarraute, dans L'Ère du soupçon, critique « le vieux roman », mais c'est parce que les personnages de celui-ci ne parviennent plus à contenir la réalité psychologique actuelle : l'objectif du romancier moderne n'est donc pas de tourner le dos à l'objet réel, mais d'élaborer des formes qui au contraire en révèlent totalement les richesses.[...]

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<it>Les Glaneuses</it>, J.-F. Millet - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Les Glaneuses, J.-F. Millet

<em>Réception des ambassadeurs du Siam à Fontainebleau</em>, J. L. Gérôme - crédits : G. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Réception des ambassadeurs du Siam à Fontainebleau, J. L. Gérôme

<it>Le Pont de l'Europe</it>, G. Caillebotte - crédits :  Bridgeman Images

Le Pont de l'Europe, G. Caillebotte