RÉALISME, art grec
Depuis la Renaissance jusqu'au milieu du xixe siècle au moins, l'art grec a fourni aux artistes et aux penseurs de l'Occident le modèle de ce qu'ils ont appelé le « beau idéal » : un art où la réalité est épurée par la recherche d'une perfection formelle résultant d'une démarche intellectuelle. Cette perception de l'art grec, fondée avant tout sur la connaissance de l'architecture et de la sculpture, quoique validée par certains textes anciens qui attestent une formalisation très raffinée, n'a cessé d'être battue en brèche par la découverte progressive des arts mineurs : céramique et petite plastique en bronze et en terre cuite, qui affirment l'existence d'un autre courant, longtemps bridé, voire refoulé, avant de s'épanouir tardivement.
Dès qu'apparaît le goût d'une figuration narrative, vers le milieu du viiie siècle avant J.-C., les céramistes grecs produisent des scènes de la réalité : non seulement les scènes hiératiques du rituel funéraire aristocratique, mais des scènes de l'actualité la plus dramatique, celle des expéditions coloniales : débarquements, combats, naufrages... À la fin du viiie siècle, ce registre semble beaucoup plus courant que l'illustration du mythe, qui débute à peine. Ces « actualités » se retrouveront de loin en loin dans l'art archaïque : l'olpè (cruche) Chigi (musée de la Villa Giulia, Rome) montre, vers 640, deux corps de fantassins prêts à s'affronter ; une coupe laconienne (cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France, Paris) décrit, vers 560, la pesée et le stockage d'un produit d'exportation en présence du roi de Cyrène ; à la fin du vie siècle, les scènes de femmes à la fontaine, fréquentes sur les vases attiques, sont l'écho de l'installation à Athènes des premières fontaines publiques par la tyrannie finissante (N. Himmelmann, Realistische Themen in der griechischen Kunst der archaischen und klassischen Zeit, W. de Gruyter, Berlin, 1994).
Cependant, dès le milieu du viie siècle s'esquisse un compromis, que les céramographes athéniens vont imposer durablement : la représentation réaliste, contemporaine et familière, de scènes mythologiques. C'est ainsi qu'une plaque en ivoire (Musée national d'archéologie, Athènes) dédiée dans le sanctuaire d'Artémis Orthia, à Sparte, vers 620, représente l'enlèvement d'Hélène par Pâris : les deux protagonistes montent à bord, on s'affaire à déployer la voile, à la proue du bateau un marin pêche à la ligne, tandis qu'un autre, accroupi, se soulage dans l'eau... Ce mélange des registres n'est pas une innovation des arts figurés : il apparaît déjà chez Homère, il est systématique chez Archiloque au viie siècle et se retrouvera au ve siècle chez Aristophane, où la poésie la plus fine s'accommode d'une truculence débridée. C'est le propre du polythéisme grec que d'immerger les dieux dans la réalité du monde, fût-elle triviale. Les héros épiques y sont plongés de même : quand le Peintre de Sôsias, vers 500, représente Achille pansant Patrocle blessé au bras (Staatliche Museen, Berlin), il s'agit de deux soldats équipés comme l'étaient alors les hoplites athéniens. Cette immersion du mythe dans la réalité aboutit au paradoxe, déroutant pour les Modernes, de la frise des Panathénées, au Parthénon : la dignité sublime de la procession des mortels contraste avec les attitudes familières des dieux qui les attendent, études prodigieuses du désœuvrement.
Mais il arrive aussi que la réalité soit représentée pour elle-même et non pas seulement pour cautionner le mythe. Dès la fin du viiie siècle, des figurines en bronze et en terre cuite représentent des hommes au travail : paysans, vignerons,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Bernard HOLTZMANN : ancien membre de l'École française d'Athènes, professeur émérite d'archéologie grecque à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification