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RÉALISME, mathématique

Accès à la réalité idéelle

Mais quel est l'accès au monde idéel objectif supposé par le réaliste ?

Pour les conceptualistes stricts, tels Bolzano et Frege, l'intuition n'est d'aucun secours. Pour Bolzano, le concept est la matière de la proposition en soi, sa signification objective, qui reste fluide et n'est pas hypostasiée en objet. Aussi le concept, qui est général et porte sur des propriétés d'objets, ne peut-il être « l'objet » d'une intuition, qui est une représentation singulière d'un objet perçu. L'accès au concept est le jugement qui attribue des propriétés à un ou plusieurs objets. De même, pour Frege, « conceptuel est ce qui peut être le contenu d'un jugement et se laisse exprimer par des mots ». Bref, avec les concepts mathématiques, on se meut d'emblée et sans en sortir dans le discursif ; la découverte d'un nouveau concept se fait par modification ou mise en rapport ou composition de différents concepts déjà connus. Penser c'est travailler le concept, sans se raccrocher à une intuition empirique ou à l'intuition intellectuelle d'une essence. Le réalisme conceptuel est un réalisme sémantique, qui pourrait résister à la tentation de réifier les concepts et de muer les significations objectives en quasi-objets ou en essences.

Gödel propose une autre solution. Assumant les critiques des mathématiciens antiréalistes – Leopold Kronecker (1823-1891), Henri Poincaré (1854-1912) ou Luitzen Brouwer (1881-1966) – à la théorie cantorienne de l'infini actuel, Gödel restaure l'intuition. Il tire aussi les conclusions du programme finitiste et antiréaliste de David Hilbert (1862-1943), qui visait à préserver le « paradis » cantorien de l'infini par des raisonnements métamathématiques ayant le degré d'évidence de ceux de l'arithmétique élémentaire. Si l'on accepte donc les raisonnements de l'analyse « classique » et de la théorie des ensembles, i.e. si l'on accepte le tiers exclu, les définitions imprédicatives et l'axiome du choix, alors il faut accorder une existence en soi aux nombres entiers, aux nombres réels et aux ensembles infinis. La réalité mathématique est « une réalité objective autonome, que nous ne pouvons pas créer, ni changer, mais seulement percevoir et décrire ». Elle est distincte de la réalité sensible, mais analogue à elle. Le mathématicien y accède par une intuition analogue à la perception sensible. Mais l'intuition n'est pas une contemplation ou une connaissance immédiate. À partir du donné, nous formons nos idées des objets mathématiques, mais ces idées ne sont pas subjectives. Gödel rejette explicitement le subjectivisme transcendantal de Kant. Pour lui, il n'y a pas de barrière insurmontable entre la réalité objective et la connaissance progressive que nous en construisons. En particulier, une compréhension plus profonde des concepts logiques et mathématiques fournira des axiomes ensemblistes que nous découvrirons comme conséquences de ces concepts. Bref, l'analyse des concepts et la clarification sémantique (Sinnklärung) permet d'« élaborer » l'intuition et constitue une méthode de découverte. Comme dans la phénoménologie de Husserl, clarifier le sens « consiste à viser plus précisément les concepts concernés en dirigeant notre attention d'une certaine façon, à savoir sur nos propres actes dans l'usage de ces concepts, sur nos capacités à conduire ces actes, etc. ». Au total, la réalité objective est en partie objet d'intuition, en partie corrélat constructible d'une réflexion du sujet mathématicien sur son maniement des concepts.

— Hourya BENIS-SINACEUR

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Écrit par

  • : directrice de recherche émérite, ancienne élève de l'École normale supérieure, docteure ès lettres

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