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RÉALISME, notion de

Réalisme et romanesque

Le réalisme en tant que courant littéraire est à situer dans la longue durée d'un réalisme au sens large : à savoir, depuis Platon et Aristote, l'art conçu comme imitation. On distinguera avec Erich Auerbach (Mimesis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, 1946) le « réalisme grossier », celui qu'en littérature le classicisme français réservait à des genres « bas » comme la comédie, du « réalisme sérieux », pour lequel la partition en styles bas, moyen et haut (donc l'assimilation de la représentation du trivial, du banal, au registre mineur) n'a aucun sens. On comprend le lien étroit de ce réalisme moderne avec le roman, capable dès l'origine d'intégrer ce que les autres genres refusent, de les subvertir et surtout d'embrasser son époque. Il se rapproche du réalisme médiéval, celui des récits de la passion (où s'effectue la fusion que réclamera le romantisme du sublime et du grotesque), de la simplicité franciscaine et de la poésie de Dante. Mais avec une différence essentielle : il ne s'agit plus d'une « interprétation figurative de la réalité », selon le rapport qualifié par les médiévistes de symbole ou d'allégorie entre le visible et ce qui lui donne sens, mais d'un monde entièrement donné à la lecture par un « effet de réel » (Roland Barthes) – sans arrière-plan sinon, comme avec Don Quichotte (1605-1615), celui du gai savoir de l'illusio. Le moment de l'autonomie conquise de la littérature (le réalisme au sens strict, la revendication artiste et la naissance de l'intellectuel) apparaît en dernière analyse comme un fruit de l'autonomie des sociétés humaines, renvoyées à l'immanence de leur histoire.

Ainsi compris, le réalisme apparaît avant d'être nommé. Il domine le roman du xixe siècle, surtout en France (Honoré de Balzac, Stendhal), mais aussi en Angleterre (Charles Dickens) puis en Russie (Léon Tolstoï, Fédor Dostoïevski) et partout en Occident. Après la vogue du naturalisme, il va s'étendre au théâtre (Henrik Ibsen), sera revendiqué par Thomas Mann en Allemagne (Les Buddenbrook, 1904), suscitera en Italie, sous le nom de vérisme, un important courant régionaliste (Giovanni Verga, Luigi Capuana). La variante engagée se prolonge dans le roman dit populiste (Eugène Dabit en France), la littérature prolétarienne (Henri Barbusse) et surtout le réalisme socialiste, doctrine quasi officielle, dans les années 1930, des écrivains communistes, et qu'on peut définir comme un réalisme épique, ajoutant à la description, censée triompher dans le roman réaliste, la dimension narrative d'un héroïsme à la gloire du peuple. En sens inverse, Jean Ricardou s'est fait le défenseur, avec Problèmes du Nouveau Roman (1966), d'un « enlisement descriptif » apte à « dégager l'écriture du masque de la fiction » : tout conformisme du style, y compris réaliste, menaçant de transformer le réel en son contraire – le fictif, le convenu.

— François TRÉMOLIÈRES

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