RÉALISME, philosophie
L'idéalisme regardé du point de vue réaliste
L'idéalisme s'est radicalisé. Au xxe siècle, parmi les philosophes, le réalisme ne compte guère que H. Bergson, É. Meyerson, R. Ruyer et quelques thomistes, J. Maritain, A. D. Sertillanges, E. Gilson ; parmi les savants, M. Planck., A. Einstein, L. de Broglie. La plupart des physiciens sont idéalistes. Le formalisme des quanta donne des moyens efficaces de prédire plutôt qu'une image de la réalité ; et le positivisme est devenu l'idéologie officielle. D'après N. Bohr, la physique, plutôt que science de la nature, est la science de notre connaissance de la nature ; d'après L. Brillouin, « lois de notre expérience » serait plus exact que « lois de la nature ». Poincaré : « La pensée n'est qu'un éclair dans une longue nuit, mais c'est cet éclair qui est tout. »
Il est étrange que des scientifiques, qui tendent spontanément à croire en la réalité de l'objet qu'ils étudient, finissent par admettre une dose d'idéalisme supérieure à celle qui s'imposerait, s'ils voulaient seulement rendre justice à la contribution de l'intelligence au savoir. Prennent-ils en théorie le contre-pied de ce qu'ils font en pratique ? L'idéalisme instrumentaliste, où les théories comptent pour des artifices de calcul sans import ontologique, fait bon marché de l'objet et de l'intelligibilité ; il valorise les recettes et les méthodes qui impliquent des prédictions correctes de résultats d'expériences futures. Comment l'indifférence à l'objet peut-elle favoriser l'efficacité ? C'est qu'on n'a besoin que de l'objet mesuré ou observé, non pas de l'objet « réel », indépendant des actes de mesure et d'observation. Sur cette voie, l'épistémologie a créé quantité de paradoxes qui nourrissent d'interminables controverses. Dans l'un d'eux, on se demande laquelle préférer de deux théories qui sauvent également les phénomènes. Comment des théories, qui ont des conséquences expérimentales identiques, peuvent-elles être distinctes ? La question est contradictoire, puisqu'on a posé que les significations ne sont définissables qu'en termes de différences par rapport à l'expérience déjà faite ou possible. Un autre oxymoron est le conventionnalisme, mixte de réalisme et d'idéalisme, doctrine suivant laquelle la réalité en soi, au lieu de se plier à nos cadres mentaux et à nos schémas théoriques, n'y entre qu'à demi. Elle ne vérifie ni ne réfute nos hypothèses (par exemple touchant la géométrie de l'espace physique, cas discuté par Poincaré). La nature, dédaignant nos questions, ne répond ni par oui ni par non. Elle nous laisse en suspens dans un désert de faits. Nous demeurons les maîtres, posant les questions et faisant les réponses. « Il n'y a point, disent alors les conventionnalistes, de fait de l'objet » (entendons : du sujet, dans la terminologie correcte). Cette problématique est impensable du point de vue réaliste, où l'objet (soit la chose réelle extérieure, soit l'idéalité abstraite dans l'entendement) est la règle de la connaissance : sans objet, rien à connaître. Le conventionnalisme est donc le procès verbal d'un « échec » analogue à celui de Descartes : quoi d'étonnant, quand on part de la pensée, qu'on n'aboutisse pas nécessairement à un objet ? Qui peut nous prémunir contre les risques d'une lacune des structures aprioriques ? Un réaliste est protégé contre ce genre d'aporie, parce que pour lui la pensée suit la connaissance plutôt que l'inverse. « Pour le réaliste, penser c'est seulement ordonner des connaissances ou réfléchir sur leur contenu » (E. Gilson). En idéalisme, la vérification, si on la cherche ailleurs que dans la cohérence ou la non-contradiction, finit toujours[...]
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Écrit par
- Jean LARGEAULT : professeur à l'université Paris-XII-Val-de-Marne, Créteil
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