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RÉALISME, philosophie

Le réalisme est-il possible ?

Pour un réaliste, l'inacceptable du kantisme est le postulat que l'intelligibilité (ou la légalité, qui en est un affaiblissement, le notionnel au sens d'Émile Boutroux) vient du sujet de la pensée plutôt que de l'objet de la connaissance. Les esprits auxquels cet idéalisme répugne savent parfois mal se défendre contre lui. Ils sont intimidés par les objections, par la force du consensus positiviste, par les succès théoriques et pratiques de la science, souvent attribués à la méthode idéaliste.

Sur le premier point, les arguments idéalistes sont le plus souvent sophistiques ; et quelque habitude du raisonnement est indispensable afin de démêler les paralogismes. Le postulat selon lequel ce qui est donné dans la représentation se réduit à la représentation détruit la cohérence du réalisme ; on se croit obligé de l'accepter. E. Gilson a démonté un certain nombre de pièges faciles, Ce qui est dans la logique de l'idéalisme (la dépréciation du sensible, la critique a priori de la connaissance, la substitution du point de vue de l'observateur au point de vue de l'observé, le souci de fonder l'existence de l'objet, etc.) n'a de sens que pour l'idéalisme, et le réalisme n'a pas à en tenir compte. On n'exigera pas de l'une des deux doctrines d'être cohérente avec les prémisses de l'autre ; à chacune d'être cohérente avec ses propres principes. Le réaliste est tenté de faire droit à des présupposés idéalistes qu'il croit démontrés ou inévitables. Par exemple, il se demande si les choses sont conformes à la connaissance qu'on en a, alors que, selon sa théorie, c'est la connaissance qui est conforme à la chose.

Second point, les succès des sciences témoignent-ils pour l'idéalisme ? En ce qui concerne les mathématiques, il est difficile d'exhiber des exemples de mathématiciens dont la philosophie personnelle a infléchi ou orienté les travaux (L. E. J. Brouwer, H. Weyl, R. Thom), ou exercé une influence sur leurs découvertes. En ce qui concerne la physique, l'impact est plus net. L'idéalisme et le réalisme ont orienté les préférences des chercheurs soit vers les théories prédictives, soit vers les théories explicatives. Mais un pragmatisme latent limite les effets qu'on pourrait attendre d'un choix philosophique. La communauté des physiciens accepte une théorie qui marche, quelle qu'en soit la métaphysique sous-jacente, tant qu'il ne s'en présente pas d'autre qui rende des services équivalents. En science, les présupposés métaphysiques se manifestent surtout à travers la méthode ; les praticiens la regardent comme un sous-produit plutôt que comme un programme a priori. Un instinct réaliste fait considérer que la méthode se déduit de la connaissance, plutôt que la connaissance de la méthode (de même que le droit dérive de l'état des mœurs, non pas l'état des mœurs des institutions juridiques). L'idéologie de l'efficacité s'accorde le mieux avec le succès des sciences, et avec cette partie des sciences qui ressortit au besoin d'action plutôt qu'au besoin de compréhension. (C'est elle que caractérise le jugement « La science ne pense pas » ! )

L'idéalisme a contribué à mettre la science sur la voie de la recherche des lois. D'abord, le point de vue des relations, traduites sous forme de fonctions ou de corrélations quantitatives, a éliminé celui des substances. Ensuite, l'idéalisme s'implante quand on croit que les relations sont sans existence hors de l'esprit (Hume, Kant). En principe, les techniques de laboratoire devraient faire obstacle à l'idéalisme. L'obstacle s'affaiblit quant on soutient que les faits scientifiques sont des construits théoriques (E. Le Roy, Duhem). Quand on découvre que les appareils[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université Paris-XII-Val-de-Marne, Créteil

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